Art moderne

Derrière la forêt se cache l’arbre

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 15 juin 2012 - 668 mots

Le Musée Tavet-Delacour revisite soixante-dix ans de peinture française à l’aune du motif de l’arbre, méconnu mais omniprésent.

PONTOISE - Similitude intéressante que celle que partagent les peintres et les arbres. Autrefois noyés dans la masse des auteurs classiques, obéissant à des codes académiques, certains artistes acquièrent au cours du XIXe siècle une autonomie stylistique. C’est à ce moment-là que l’arbre, précisément, s’échappe de la forêt. Il devient un sujet à part entière, porteur de symbole comme de sentiment. Il peut aussi se faire l’outil de l’organisation structurelle du tableau, servant l’équilibre d’une composition. Avec les modestes moyens qui sont les siens, le Musée municipal Tavet-Delacour, à Pontoise (Val-d’Oise), témoigne de cette émancipation sylvestre dans la peinture française depuis les années 1850, qui furent celles de l’école de Barbizon, jusqu’aux années 1920 avec les prémices de l’abstraction.

Comme le souligne le commissaire et directeur des lieux, Christophe Duvivier, cette exposition dégage un sujet esquivé dans les études menées sur l’art impressionniste et postimpressionniste, lesquelles ont privilégié le traitement renouvelé du ciel et de l’eau. Si la forêt tient une place dominante dans l’analyse des œuvres des peintres de Barbizon, l’arbre une fois isolé ne mérite-t-il pas une réflexion plus poussée ? En toute logique, le parcours s’ouvre sur une sélection barbizonnaise. C’est à Fontainebleau que tout a commencé : les peintres y ont tissé un rapport plus intime avec le paysage, autrefois construit de toutes pièces dans l’atelier. Cette approche post-romantique, sur le motif, ne se limite pas à la région parisienne. En témoigne Torrent en Écosse, après l’orage (1875-1878) de Gustave Doré, une toile aussi étonnante par sa dramaturgie exacerbée que rare. Sous un ciel noirci par l’orage, transpercé de quelques rayons de soleil salvateurs, le paysage écossais se déploie dans son plus simple appareil : sauvage, âpre et parfaitement intact. Une fois ce rapport de proximité établi entre le peintre et l’arbre, une typologie se définit, à travers : l’arbre isolé, « métaphore romantique de l’âme », auquel le spectateur peut s’identifier ; l’arbre étalon, « qui donne la mesure de l’espace » ; l’arbre comme terrain d’expérimentation de la fragmentation de la couleur ; ou encore le rideau d’arbres, outil de construction du paysage cher à Maurice Denis, comme on peut l’observer en ce moment au Musée des impressionnismes à Giverny (lire le JdA no 370, 25 mai 2012, p. 10).

Toiles puissantes
Bien entendu, on peut regretter le traitement franco-français du sujet, une sélection fauve un peu faible ainsi que l’absence de quelques piliers, parmi lesquels Paul Cézanne. Son Grand pin et terres rouges (1890-1895) resté au Musée de l’Ermitage (Saint-Pétersbourg) illustre cette volonté de placer au centre de la composition un arbre obstruant la perspective qui se déploie derrière lui, ce pour en faire le portrait. L’exposition parvient cependant à garder le fil avec des toiles puissantes (Saint-Tropez. Les pins parasols des Canoubiers [1897], un splendide Signac « néo ») et l’appui de peintres plus discrets (Achille Laugé, Charles Lacoste, Frédéric Montenard).

Parmi les perles, citons le Paysage maritime de Paul Ranson (auquel le catalogue ne rend pas justice), et surtout l’étonnant Parc (1911) de Ker Xavier Roussel dont la richesse ne se livre pas au premier regard. Signalons enfin l’inclusion dans le corpus de Lavacourt vue de la berge de Vétheuil, effet du soir (v. 1880), dont l’attribution à Claude Monet est plutôt convaincante au regard d’une touche aussi enlevée que vigoureuse. Côté catalogue, il faudra se satisfaire du texte court mais foisonnant du commissaire, qui, bien que survolant son sujet, en traque chaque ramification. Certaines œuvres auraient pourtant mérité une exégèse – nouvelle illustration de la faible marge de manœuvre dont dispose un musée à la collection très riche mais aux moyens réduits.

L’ARBRE DANS LA PEINTURE DE PAYSAGE ENTRE 1850 ET 1920. DE COROT À MATISSE


Jusqu’au 8 juillet, Musée Tavet-Delacour, 4, rue Lemercier, 95300 Pontoise, tél. 01 30 38 02 40, www.ville-pontoise.fr, du mercredi au dimanche 10h-12h30 et 13h30-18h. Catalogue, Somogy Éditions d’art, 144 p., 25 euros, ISBN 978-2-7572-0535-8.

L’ARBRE DANS LA PEINTURE

L’ARBRE DANS LA PEINTURE - Commissaire : Christophe Duvivier, directeur des musées de Pontoise

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°371 du 8 juin 2012, avec le titre suivant : Derrière la forêt se cache l’arbre

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