Société

Comment « gérer » les restes humains ?

Par Ingrid Perbal · Le Journal des Arts

Le 8 mars 2019 - 764 mots

PARIS

Le ministère de la Culture et celui de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation viennent de publier un vade-mecum pour aider les lieux qui conservent ces biens d’une nature singulière. Il répond à des questionnements tant juridiques qu’éthiques.

Crâne surmodelé issu de l'exposition "Cheveux chéris" (musée du quai Branly, Paris), 2012
Crâne surmodelé issu de l'exposition "Cheveux chéris" (musée du quai Branly, Paris), 2012

Paris. Les restes humains conservés dans les collections publiques françaises sont des objets un peu à part, comme le rappelle un récent vade-mecum. Celui-ci précise que l’être humain se définit anthropologiquement comme appartenant à l’espèce Homo sapiens. « Le reste humain est toute pièce qui comporte des éléments biologiques d’origine humaine », explique Michel Van Praët, professeur émérite du Muséum national d’histoire naturelle. Il est le coauteur de ce document avec Claire Chastanier, adjointe au sous-directeur des collections du service des Musées de France au sein du ministère de la Culture.

Michel Van Praët connaît bien le sujet. Il a dirigé la mission de repérage et de valorisation des restes humains conservés dans les collections publiques lancée en 2014 par le ministère de la Culture et celui de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Cette mission faisait suite aux restitutions de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, la « Vénus hottentote », à l’Afrique du Sud en 2002 et des têtes maories à la Nouvelle-Zélande en 2010, restitutions précédées de longs débats.

Intitulé « Les restes humains dans les collections publiques », le vade-mecum est annexé au second rapport de cette mission remis en 2018 aux ministères de tutelle. Mais il a été enrichi pour répondre aux besoins des personnels des lieux conservant ces biens. Le premier volet du document porte sur les règles juridiques et éthiques spécifiquement attachées à ces biens. Le droit français retient deux principes fondamentaux qui s’appliquent au corps humain, même après la mort : le principe de dignité et l’interdiction de commerce. Si le code civil offre un cadre général, le code du patrimoine et le code général de la propriété des personnes publiques s’appliquent aussi à ces objets, selon le statut de l’établissement qui les conserve. Ces deux codes reprennent la notion fondamentale d’intérêt public de ces pièces. Comme tous biens publics mobiliers, les restes humains sont inaliénables et imprescriptibles. Pour les règles éthiques, les textes internationaux, dont le code de déontologie du Conseil international des musées, servent de référence.

Plus de 150 000 restes humains dans les collections en France

Le nombre de restes humains conservés dans les fonds français est considérable : plus de 150 000 objets. C’est le chiffre révélé par une enquête réalisée entre 2015 et 2017 auprès de 42 universités et de 516 musées de France. Le vade-mecum en précise les différentes catégories. « La part la plus importante, soit environ 100 000 pièces, provient de l’archéologie française. La seconde masse est représentée par l’anthropologie physique et l’anatomie comparée. Ce sont essentiellement des pièces squelettiques », explique Michel Van Praët. Puis, viennent les restes humains extra-européens. Parfois qualifiés de collections sensibles, ceux issus de l’anthropologie physique et de l’ethnologie constituent plusieurs milliers de biens. Ceux provenant de l’archéologie se chiffrent à quelques centaines. Enfin, un millier de reliquaires chrétiens ont été recensés.

Le document donne ensuite des conseils pour gérer ces biens. La grande majorité des restes humains est constituée de squelettes entiers ou d’os. Conservés à sec, ils ne posent pas de problème majeur de conservation. Mais une vigilance particulière s’impose pour les pièces extra-européennes, surtout si elles sont organiques. Elles doivent aussi être bien documentées. Les constats d’état de ces restes, souvent de nature hétérogène, doivent être précis. Leur manipulation et leur exposition doivent respecter le principe de dignité. Cette consigne découle du scandale déclenché en 1994 par la présentation du moulage du corps de Saartjie Baartman [voir illustration], dont le cartel ne mentionnait pas clairement qu’il s’agissait d’un moulage. La procédure de restitution avait été enclenchée après l’exposition.

La question des restitutions

Le vade-mecum fait le point sur ces procédures complexes. Tout bien mobilier patrimonialisé faisant l’objet d’une demande de restitution doit être déclassé. Or la démarche diffère selon le statut de l’institution à laquelle il appartient. La décision de la restitution peut aussi passer par une loi. Ce fut le cas pour la « Vénus hottentote » et les têtes maories. Selon le document, une évolution du droit est envisagée pour simplifier ces procédures.

Michel Van Praët a constaté lors de sa mission que ces questions sont aujourd’hui débattues plus sereinement. Selon lui, « il faut dépassionner le débat. Ces collections doivent être gérées comme les autres collections. Elles ont été acquises d’une manière qui ne se ferait plus. Mais il faut permettre aux gens de comprendre. Si on explicite ces faits, le principe de dignité est respecté ».

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°518 du 1 mars 2019, avec le titre suivant : Comment « gérer » les restes humains ?

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