Ouverture

Cocteau malmené

Le nouveau Musée Jean-Cocteau - Collection Severin Wunderman, à Menton, laisse sceptique

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 14 novembre 2011 - 821 mots

La Ville de Menton a inauguré en grande pompe le nouveau « Musée Jean Cocteau-Collection Severin Wunderman », dans un édifice signé Rudy Ricciotti. Malgré les efforts louables de la municipalité, le projet dans son ensemble a manqué de rigueur.

MENTON - Lorsqu’une municipalité de moins de 30 000 habitants investit plus de 5 millions d’euros dans la construction d’un musée par un architecte de renom, l’initiative mérite d’être saluée. C’est ainsi non sans fierté que la Ville de Menton (Alpes-Maritimes) vient d’inaugurer, en front de mer, le Musée Jean-Cocteau - Collection Severin Wunderman imaginé par Rudy Ricciotti. Labellisé « musée de France », d’un coût total s’élevant à 12 millions d’euros réparti entre la Ville, le Département, la Région et l’État, ce nouveau Musée Jean-Cocteau doit son existence à la générosité d’un milliardaire américain d’origine belge, Severin Wunderman. Décédé en 2008, ce magnat de l’horlogerie considérait Cocteau comme le « Léonard de Vinci de notre époque ». Débutée en 1957, sa collection compte un millier d’œuvres graphiques, de tableaux et ouvrages reflétant la pluridisciplinarité de l’artiste. Confié officiellement à la Ville de Menton en 2005, cet ensemble complète le fonds existant du musée historique pensé par Cocteau en personne, et sis depuis 1965 dans le Bastion, à deux pas de l’édifice de Ricciotti. Vient de s’y ajouter le don de 240
tirages par le photographe Lucien Clergue.

Lorsque le député maire Jean-Claude Guibal cite en exemple le Guggenheim-Bilbao, et son espoir de drainer une centaine de milliers de visiteurs par an, la comparaison est pour le moins hardie. L’édifice de Ricciotti n’a ni le panache ni le magnétisme de celui de Frank O. Gehry, du point de vue de l’extérieur comme de l’intérieur – parmi les contraintes du cahier des charges, une hauteur de 4,50 m à ne pas dépasser. Ce « geste architectural », qui se réclame de l’esprit de Cocteau par son ouverture sur l’extérieur à 360°, est en outre mal adapté à la présentation d’une collection d’œuvres graphiques. Les maîtres d’ouvrage ont dû faire ajouter des voilages pour protéger les œuvres du rayonnement méditerranéen. Pour justifier son choix d’une muséographie « minimaliste », la conservatrice des lieux, Célia Bernasconi, invoque la « défiance » manifestée par Jean Cocteau envers cette « institution mortifère » que serait le musée. Les sept séquences chronologiques du parcours sont expliquées au travers de textes sommaires et de fiches de salles thématiques. La vie de Cocteau, si riche de rencontres et d’inspiration, est survolée. Elle semble avoir été ajourée.

Les œuvres, volontairement mises en avant, ne font pas oublier les manques de ce portrait biographique, et le parcours trahit l’amateurisme avec lequel la collection s’est construite. Celle-ci s’est étoffée au gré des coups de cœur et non selon un projet scientifique. Prenons la série des autoportraits de Jean l’Oiseleur, dont la majeure partie des originaux ont été dispersés aux enchères chez Sotheby’s Paris il y a un an. À Menton, les visiteurs n’ont droit qu’à des phototypies de la série, ce qui est dommage pour « la première et plus importante ressource publique mondiale de l’œuvre de Jean Cocteau ». Si elle comprend quelques perles, la collection est d’une qualité et d’une homogénéité qui laissent donc à désirer. Et encore : le 31 mai, le quotidien Libération révélait à quel point son expertise scientifique fut délicate, voire conflictuelle, et que plus d’une trentaine de faux avaient été exclus du corpus.

Le droit moral en question
Parmi les membres du comité scientifique du Musée Cocteau, apparaissent quelques têtes du Comité Cocteau, à l’instar de Dominique Païni et de Stéphane Chomant, à qui l’on doit la Maison Cocteau à Milly-la-Forêt (lire le JdA no 329, 9 juill. 2010) – ce dernier a depuis démissionné de son poste de secrétaire général du Comité Cocteau et du projet de Musée Dreyfus-Maison Zola, également présidé par Pierre Bergé. Sur l’implication du Comité Cocteau en tant que tel (présidé par Pierre Bergé, titulaire exclusif du droit moral de l’artiste) dans l’élaboration du projet mentonnais, les avis divergent. Une chose est sûre, Pierre Bergé a dû imposer l’ajout de la mention « collection Severin Wunderman » au nom de l’institution, qui avait déposé sa marque « Musée Jean-Cocteau » sans se préoccuper du droit moral. Idem pour la charte graphique du musée, qui décline et détourne le « lézard » de Cocteau, que l’on retrouve sur la mosaïque ornant le parvis du musée, elle aussi recréée sans autorisation. Ce motif, utilisé sur les produits dérivés (papeterie, arts de la table, cartes postales…) a fini par être autorisé de manière temporaire. En préparation du cinquantenaire de la mort du poète en 2013, le Comité Cocteau et les équipes du musée travailleront ensemble en 2012 pour élaborer une nouvelle charte graphique.

MUSÉE JEAN-COCTEAU - COLLECTION SEVERIN WUNDERMAN

2, quai de Monléon, 06500 Menton, tél. 04 89 91 52 50, tlj sauf mardi et jf 10h-18h. Catalogue, éd. Snoeck, Gand, 368 p., 39 €, ISBN 979-94-6161-017-1

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°357 du 18 novembre 2011, avec le titre suivant : Cocteau malmené

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque