Art contemporain

Bruxelles, capitale de l’art contemporain

Par Bertrand Dumas · L'ŒIL

Le 22 janvier 2015 - 897 mots

En une vingtaine d’années, Bruxelles s’est imposé comme l’une des places fortes européennes de l’art contemporain. Enquête sur les raisons de cette ascension.

Si, aujourd’hui, tous les feux sont au vert, ce ne fut pas toujours le cas. Albert Baronian, le doyen des galeristes en activité, se souvient d’un marché très local et fermé sur lui-même quand il débuta son activité en 1973. C’était encore le cas en 1987 quand, à la tête de l’Association des galeries belges, il rencontra de fortes résistances pour ouvrir la Foire d’art actuel (ancêtre de l’actuelle Art Brussels) aux galeries étrangères. Il est vrai qu’à cette époque, ces dernières ne se pressaient pas, comme aujourd’hui, au portillon de la capitale de l’Europe. La tendance était plutôt au départ précipité, rappelle Rodolphe Janssen, évoquant les implantations avortées de la Galerie de France et de la Galerie Philippe Rizzo venues de Paris, celles du Grec Jean Bernier ou de l’Allemand Tanit, emportées par le tsunami des deux chocs pétroliers qui mirent à mal son marché de l’art contemporain balbutiant. En 1987, quand Xavier Hufkens ouvre sa galerie, tout reste donc encore à faire. Le marché était alors monopolisé par Anvers où se trouvaient à la fois les créateurs (plasticiens, modistes, designers), les institutions et les collectionneurs. La ville flamande profitait alors également de la manne financière des diamantaires qui importaient de New York quantité d’œuvres d’art. Une source qui s’est considérablement tarie depuis l’entrée en jeu de la concurrence indienne. C’est l’une des raisons du déclin d’Anvers au profit de Bruxelles devenue, à partir des années 2000, le nouvel épicentre de l’art contemporain en Belgique.

Bruxelles, un récent eldorado
L’actuel leadership bruxellois tient à un certain nombre de facteurs pratiques comme l’arrivée du TGV en 1997, qui mit la ville à un saut de puce des Parisiens, puis des collectionneurs d’Amsterdam, de Cologne et enfin de Londres grâce à la connexion avec l’Eurostar. Autre cause déterminante, la faiblesse des loyers privés et commerciaux qui restent encore attractifs en 2015. Elle profita d’abord aux artistes belges et étrangers qui trouvèrent, sur place, les moyens de s’installer à moindre frais, comme ce fut le cas pour Berlin en son temps. Cependant, la comparaison avec la capitale allemande s’arrête là d’après Dirk Snauwaert. Le directeur du Wiels, principal centre d’art contemporain de Bruxelles, précise qu’à la différence de Berlin la dynamique de Bruxelles ne repose pas seulement sur ses artistes mais sur un marché de l’art structuré depuis longtemps, avec des collectionneurs qui ne sont pas présents à Berlin. Les nombreux antiquaires installés dans le quartier du Sablon sont encore là pour en témoigner.

Les loyers bas ont aussi bénéficié aux galeries qui sont allées conquérir de nouveaux quartiers. Ceux de la Ville Haute notamment, avec les galeries situées de chaque côté de l’avenue Louise. Xavier Hufkens et Rodolphe Janssen furent les premiers à s’y aventurer au début des années 1990. Leur intuition était de s’éloigner du Sablon pour se rapprocher des résidences de leurs collectionneurs. Pari gagnant car, depuis, le secteur n’a cessé d’accueillir de nouveaux concurrents. Des galeries bruxelloises bien sûr, mais surtout étrangères. Les françaises ont ouvert le bal avec Almine Rech, en 2006, suivie par Nathalie Obadia, en 2008, et Daniel Templon, en 2013. Plus tôt, en 2008, la galerie new-yorkaise Barbara Gladstone ouvrait une succursale qui redynamisa le bas de la ville. Dans son giron, se sont installées cinq nouvelles galeries en 2014. Rue de la Régence, deux galeries parisiennes (Chez Valentin et Jean Roch Dard) et trois belges dont la respectée Galerie Micheline Szwajcer se partagent une ancienne friche industrielle. Non loin, une seconde enseigne anversoise a fait récemment son nid, la galerie Office Baroque qui ne regrette qu’une chose : « Ne pas être venue plus tôt », preuve que Bruxelles est décidément the place to be, même pour les Flamands ! Les maisons de ventes aux enchères l’ont aussi bien compris. Christie’s et Sotheby’s jouent au coude à coude avec de nouveaux venus comme Lempertz qui possède son hôtel des ventes, et Cornette de Saint Cyr qui fait florès avec ses ventes de design.

Principale attraction pour tous ces nouveaux acteurs : les collectionneurs. Ils sont belges ou étrangers attirés par une fiscalité avantageuse (pas d’ISF, moins d’impôts sur les successions et les revenus locatifs) et, depuis lors, par une offre artistique en constante amélioration. En 2007, l’ouverture du Wiels a comblé en la matière un vide sidéral. Le lieu a ouvert la voie à des initiatives privées ambitieuses telles que la Vanhaerents Art Collection ou la Maison Particulière, fondée par les collectionneurs français Amaury et Myriam de Solages, qui ne peuvent, néanmoins, faire oublier l’absence d’un musée d’art moderne et contemporain digne de ce nom. De l’avis général, cette lacune symbolise le désintérêt du politique pour l’art contemporain, privé ainsi d’argent public pour financer les institutions artistiques et culturelles qui permettraient à la ville de passer à la vitesse supérieure.

Les collectifs d’artistes, autre spécificité de Bruxelles

Pour pallier l’absence d’une grande institution dédiée à l’art contemporain, les acteurs de l’art actuel de la ville se sont donc organisés. À côté du centre d’art Wiels et des galeries, les jeunes artistes se sont regroupés en collectifs, plus d’une quinzaine (Abilene, C-o-m-p-o-s-i-t-e, Komplot, etc.), qui se fédèrent autour du site Internet www.thewalk.be qui informe sur le calendrier des événements des collectifs : ouverture d’ateliers, expositions collectives ou personnelles…

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°676 du 1 février 2015, avec le titre suivant : Bruxelles, capitale de l’art contemporain

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