Cambodge

Angkor fait renaître ses artisans

Par Elisa Fulco · Le Journal des Arts

Le 17 décembre 1999 - 664 mots

Siem Reap, la petite ville qui borde le parc d’Angkor, attend de pied ferme les touristes pour les fêtes de fin d’année. Les hôtels poussent comme des champignons et le gouvernement vient de décider d’augmenter les liaisons aériennes. À l’ombre des temples, se développe un programme de revitalisation de l’artisanat, laminé durant la dictature khmère rouge.

SIEM REAP - “Regardez le nombre des motos ! Il y a encore quelques mois, les apprentis venaient tous à bicyclette”, s’exclame avec enthousiasme Phloeun Prim, en montrant les petites Honda alignées dans la cour de l’Unité pilote de production (UPP). Le destin de Phloeun Prim ressemble à celui de beaucoup de Cambodgiens. Sa famille a fui le pays pour le Canada en 1979, alors qu’il avait trois ans. Aujourd’hui, elle a ouvert un hôtel à Siem Reap et Phloeun est revenu, après ses études à Montréal, pour diriger le marketing des “Artisans d’Angkor”. Créé en 1993 sur le mode des Compagnons de France, le projet a pris de l’ampleur en juillet 1998, en devenant “un programme rural d’éducation” subventionné à hauteur de 1,5 million d’euros par l’Union européenne jusqu’en juin 2001. Le but est de créer des emplois en revitalisant l’artisanat disparu pendant la dictature khmère rouge : sculpture sur pierre et sur bois, polychromie, ébénisterie, tissage et travail de la soie… L’objectif est de former 350 Artisans d’Angkor d’ici 2001.

Âgés de 18 à 25 ans, les jeunes sont d’abord sélectionnés selon leurs capacités visuelles et manuelles, puis suivent une formation de six mois, ou de douze mois pour le tissage de la soie. Ils sont payés 20 dollars par mois, “un strict minimum, explique Phloeun Prim, pour permettre  aussi aux paysans défavorisés d’envoyer leurs enfants en formation”. Ensuite, ils intègrent une UPP où ils travaillent sous la surveillance d’un chef d’atelier, et sont mis en “production contrôlée” pendant six mois encore. À ce stade, ils sont payés à la pièce et certains gagnent plus de 100 dollars par mois.
Ensuite, ils rejoignent le réseau d’ateliers créés dans la région de Siem Reap, qui fonctionnera en coopérative. “Nous voulons produire des objets originaux et haut de gamme”, explique le directeur du marketing. Certes, les sculpteurs copient la célèbre tête de Jayarvarman VII, qui se vend comme des petits pains, mais ils n’ont pas dans leur catalogue la sculpture à quatre faces du Bayon, trop présente sur les étals. D’autres modèles sont recherchés à partir de pièces gardées à la Conservation d’Angkor. De même, si déjà à travers le pays, beaucoup d’artisans sculptent à nouveau le bois, le travail de la polychromie a, lui, quasiment disparu. Quant au travail de la soie, il surpasserait, selon les spécialistes, celui des Thaïs. À terme, les Artisans d’Angkor ambitionnent de créer leur label de qualité.

Angkor direct

Le gouvernement cambodgien vient de décider d’autoriser des vols directs vers Siem Reap en provenance des pays voisins. Jusqu’à présent, seule une compagnie étrangère privée, Bangkok Airways, desservait la cité d’Angkor au départ de la capitale thaïlandaise. Cette décision est critiquée par ceux qui redoutent que les touristes se rendent uniquement à Angkor, sans découvrir le reste du pays et en particulier Phnom Penh. Par ailleurs, l’Association des Amis d’Angkor a organisé le 27 novembre un colloque sur "les pillages à Angkor", qui n’a pu que s’alarmer du vandalisme, du trafic et des faux. "Il est indispensable de refaire l’inventaire des monuments", a réclamé le professeur Claude Jacques, dénonçant une nouvelle fois l’intervention de certains militaires dans les récents pillages. Même si des biens volés sont retrouvés, "les historiens se trouvent dans une situation complexe ; ils sont confrontés à des œuvres dont le pedigree est inconnu", a déploré Pierre Baptiste, conservateur au Musée Guimet. "Chez des antiquaires coexistent des œuvres apparemment authentiques, pour lesquelles nous ne pouvons plus rien dire, et des faux". Rappelons que l’Association vient de rééditer l’ouvrage de Louis Delaporte, Voyage au Cambodge, chronique passionnante et illustrée du périple de l’auteur (édition Maisonneuve & Larose, 462 p., 190 F).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°95 du 17 décembre 1999, avec le titre suivant : Angkor fait renaître ses artisans

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