Centre d'art

... pas à côté mais un peu partout

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 juillet 1999 - 2497 mots

À côté des grands musées répartis aux quatre coins de la région, quantité d’institutions plus légères, centres d’art ou associations font connaître la création d’aujourd’hui. Leur nombre est d’ailleurs l’un des plus élevés de l’Hexagone, preuve que l’activité y est d’une étonnante intensité.

Le récent succès de l’exposition « Hypothèses de collection » montée par le Fonds régional d’art contemporain de Provence-Alpes-Côte d’Azur au Musée du Luxembourg, à Paris, est l’expression de l’intense activité que connaît la région à travers un réseau très divers de lieux de production et de diffusion de l’art contemporain. Créé en 1982, dans la foulée de la décentralisation, le FRAC PACA a mis un certain temps à trouver ses marques et un lieu. S’il s’est tout d’abord donné pour objectif de constituer une collection d’ensembles représentatifs des grandes tendances des trente dernières années (Figuration narrative, Supports-Surfaces, Figuration libre, photographie plasticienne, installations), il a choisi depuis plusieurs années de s’intéresser à des artistes envisageant « leur travail comme un projet permanent et dont les œuvres témoignent logiquement de cette manière très spatiale d’appréhender une production », c’est-à-dire des artistes qui ont cette faculté « de transformer un élément en esthétique ». À l’instar de Tatiana Trouvé, de Gilles Barbier, du Cercle Ramo Nash, de Fabrice Hybert, de Basserode, ou bien encore d’un aîné comme Raymond Hains. Installé depuis le début des années 90 dans le quartier du Panier, à deux pas de la Vieille Charité, le FRAC, dirigé par Éric Mangion depuis 1994, dispose désormais de locaux qui lui sont propres. Bien que ceux-ci soient un peu retranchés du regard extérieur, ils donnent une certaine visibilité à cette institution et lui permettent de développer une programmation régulière d’expositions tant thématiques que monographiques. Ainsi le FRAC a-t-il pu s’imposer peu à peu comme l’un des foyers les plus vivants de la région.

Des ateliers expérimentaux
Autre temps fort des lieux de création marseillais, les Ateliers d’Artistes de la Ville de Marseille. Sans être un centre d’art, leur activité de diffusion peut sembler comparable à celle de ce genre d’institution. En fait, les Ateliers d’Artistes, que dirige Thierry Ollat, sont un espace expérimental au service des artistes et se présentent comme une structure très légère qui ajuste en permanence ses axes de travail sur leurs besoins prioritaires. C’est un vrai pool qui grouille d’activités et propose une programmation d’expositions volontiers articulée sur le multimédia. On y a vu, par exemple, une remarquable prestation de Beat Streuli. Pour enrichir leur expérience, les Ateliers d’Artistes de la Ville de Marseille ont créé par ailleurs un séminaire de réflexion qui réunit régulièrement des artistes, des associations, des collectionneurs, des responsables d’institutions, des entrepreneurs et des décideurs. Cette souplesse de fonctionnement et cette perspective de travail constituent leur principale originalité.

Verre et savoir-faire
À la différence des deux précédents, le Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques est un lieu exclusivement dévolu à la production. Créé en 1986 et dirigé depuis lors par Françoise Guichon, il est installé dans le quartier de la Joliette, à proximité de la Porte d’Aix. Conçu pour relancer l’usage d’un matériau abandonné par l’art contemporain, le Cirva est devenu le lieu de prédilection d’un grand nombre d’artistes venus des quatre coins du monde, curieux d’expérimenter un savoir-faire qui leur est inconnu ou de le mettre à l’épreuve de leurs démarches. De Penone à Fauguet, en passant par Dietman, Dubuisson, Caccavale, Javier Perez ou Jana Sterbak, la liste des plasticiens et designers qui sont passés par le Cirva est impressionnante. Grâce à eux, le verre a retrouvé ses lettres de noblesse, ainsi qu’une audace et une fantaisie qu’il avait oubliées.

Des hauteurs de Vaison-la-Romaine à celles de Nice
En matière de centre d’art, la région PACA n’est pas en reste. Trois autres lieux sont encore aux premiers rangs d’une activité vraiment pionnière : le Crestet Centre d’Art, près de Vaison-la-Romaine, l’Espace de l’Art concret à Mouans-Sartoux, et la Villa Arson à Nice. Le cadre naturel dans lequel le premier est implanté – une forêt de chênes, de hêtres et de pins – le dispute à l’architecture style Bauhaus de la maison qui l’abrite. Ancienne propriété du sculpteur Stahly, rachetée par l’État au cours des années 80, le Crestet Centre d’Art, aujourd’hui dirigé par Cati Chambon, est un véritable laboratoire de recherches et d’expérimentations pour les artistes travaillant dans un rapport dialectique avec la nature, et entretenant avec elle « non pas une logique de l’union ou de l’augmentation mais une logique de la différence et de l’altérité ». Le plus souvent conçues spécialement pour l’occasion, les œuvres présentées au Crestet en appellent volontiers au mode de l’installation. Aussi la programmation est-elle toujours singulière, ainsi qu’on a pu notamment le vérifier avec les expositions d’Ulf Rollof puis de Cyril Olanier, et qu’on peut le mesurer actuellement avec celle de Pier Paolo Calzolari. Dans le cadre d’une politique de diffusion, Le Crestet organise par ailleurs certaines expositions dans une géographie élargie, comme celle de Per Barclay cet été à Valréas. Effet d’une décentralisation interne à la région elle-même. Sur le versant Côte d’Azur, l’amateur en quête d’art contemporain peut trouver à Mouans-Sartoux un véritable trésor qui répond au nom d’Espace de l’Art concret. Dans le château fin XIXe, bâti dans le style Renaissance, de cette petite commune à mi-chemin entre Cannes et Grasse, tout est synonyme d’engagement. Sybil Albers-Barrier et Gottfried Honegger sont à l’origine de la création, en 1990, de ce lieu qui est bien plus qu’un simple centre d’art puisqu’il dispose d’une collection – que ces derniers viennent de donner à l’État – et qu’une action éducative pionnière y est spécialement dispensée. L’art défendu à Mouans-Sartoux relève d’une esthétique radicale dont les formes sont géométriques et les couleurs monochromes. Exemplaire, la programmation de Mouans-Sartoux multiplie les rencontres, les confrontations entre œuvres de la collection et autres créations de toute nature au sein d’expositions telles que « Voir et s’asseoir », « Le cri et la raison », « Art et vêtement », « Comparer pour voir », « Art au sol », ou bien encore « Silence-Éclat. Aurélie Nemours rencontre Jean Tinguely », proposée en ce moment. De Josef Albers à François Perrodin, en passant par Max Bill, Donald Judd, Sol LeWitt, François Morellet, Daniel Buren, Claude Rutault, Bertrand Lavier ou Michel Verjux, tout ce que compte l’art concret est passé ou passera à Mouans-Sartoux. Mais, parce que « regarder est un acte créatif » et que Gottfried Honegger sait parler aux enfants, ceux-ci y sont rois. Pour eux, l’artiste a inventé mille tours merveilleux : un jeu tout d’abord – le viseur –, puis un bâtiment – l’Espace Art Recherche Imagination –, en parfaite complicité avec Marc Barani. En une dizaine d’années, la petite ville de Mouans-Sartoux a trouvé dans l’art concret une nouvelle identité et l’art contemporain un abri singulier. D’un château à l’autre, celui de Villeneuve, sis à Vence, consacre lui aussi ses cimaises à l’art contemporain. Restauré par Jean-François Bodin voilà quelques années, il présente tous les aspects d’une belle et grande villa à l’italienne, aux murs vivement colorés. Modernité et actualité y sont au menu d’une programmation diversifiée, qui fait alterner expositions monographiques et collectives. Jean-Pierre Raynaud ou Claude Viallat en ont été les hôtes, et ce sont les « Grands d’Espagne » que le château de Villeneuve accueille cet été, avec des toiles de Tàpies, Saura ou Barcelo. Un vrai lieu de plaisir. Davantage tournée vers l’étude, la Villa Arson est une institution bicéphale qui regroupe sous le même toit une école des Beaux-arts et le Centre national d’Art contemporain. Créée dans les années 60, celle-ci est d’autant plus active qu’elle dispose, sur un domaine de deux hectares, d’un ensemble considérable de structures pédagogiques et de résidences. Le centre d’art qu’elle abrite a été créé en 1986, avec cette volonté de donner aux étudiants la possibilité d’une prise directe sur le fait même d’exposer. Monographies rétrospectives, expositions collectives visant à interroger les relations de l’art au lieu, cycles thématiques ou premières expositions personnelles, la programmation de la Villa Arson est très diverse. L’accueil en résidence d’artistes en constitue l’un des points forts. Il occasionne toutes sortes d’activités : rencontres, débats, productions, commandes, éditions... faisant de la Villa un véritable bouillon de culture, comme en témoigne l’exposition virtuelle organisée sur le Web pendant l’été. Rajoutons à cette liste le Centre d’Art contemporain d’Istres, la Villa Tamaris à La-Seyne-sur-Mer et le Centre méditerranéen d’Art installé à Toulon dans l’ancien hôtel de la Présidence qui ouvre ses portes avec une exposition Claudio Parmiggiani.

Architecture et photographie
À propos d’école d’art, la région PACA compte encore deux autres unités tout aussi importantes et qui participent activement à la promotion de l’art contemporain. Si, à Marseille, l’École de Luminy est située en périphérie sud de la ville, elle dispose en revanche de sa propre galerie d’exposition en plein cœur de la cité, à deux pas du Musée Cantini, ce qui l’assure d’une présence dans le tissu urbain. En Arles, l’École de la Photographie s’est très tôt imposée comme l’une des premières de France, bénéficiant d’un environnement unique quant à la diffusion d’un mode qui a considérablement évolué en l’espace de vingt ans, passant d’une photographie conventionnelle à une photographie dite « plasticienne ». C’est dire combien la région est forte d’une diversité tous azimuts, d’autant que le phénomène associatif y connaît un très net regain depuis quelques années, contribuant ainsi à en accroître l’effervescence.

Associations un peu partout
Cette diversité est particulièrement visible à Marseille, dont la Friche, dans le quartier de la Belle de Mai, peut passer pour le symbole. Véritable lieu alternatif et polyvalent, où théâtre musique, danse, cinéma et arts plastiques se conjuguent au service d’une création vive et dynamique, la Friche est un immense ensemble d’anciens bâtiments industriels de la Seita, réhabilités en salles de spectacles et d’expositions, en bureaux et ateliers de création. L’Association Astérides, créée en septembre 1992 par quatre artistes marseillais, dispose d’une quinzaine d’ateliers, dont six sont réservés à des résidences temporaires pour des séjours de six mois maximum. Lieu de rencontres et d’échanges, Astérides organise plusieurs fois par an différents événements qui en font un espace vivant et fluctuant. Expositions, portes ouvertes, éditions, produits dérivés sont au menu d’une activité qui vise notamment à créer les conditions d’un dialogue ouvert, tant avec le public qu’avec d’autres collectifs d’artistes. Il faut dire que Marseille abrite une création plastique d’une richesse infinie et que les associations y sont légion. Impossible de les nommer toutes. Ainsi, en février dernier, Astérides s’était mis en cheville avec Tohu Bohu, RLBQ (Reposez la Bonne Question), SMP (Sol, Murs, Plafonds) et Triangle France pour faire un « Tir groupé » qui n’est pas passé inaperçu. Antenne de l’association Triangle, née à New York en 1982, Triangle France est installée à la Friche depuis trois ans. Sa vocation est d’en être le pôle européen pour l’accueil d’artistes étrangers. C’est dire le contexte international de la Friche.
Il faut signaler également l’existence du Bureau des Compétences et Désirs, une association créée en 1994, médiatrice de la Fondation de France depuis 1997, qui mène, entre autres, un travail de fond sur la ville, ses populations et ses cultures. À cet inventaire déjà très nourri, auquel on pourrait ajouter La Compagnie, Le Hors-là, Les Ateliers Nadar, Les Grands Bains-Douches de La Plaine ou L’Observatoire, il faut ajouter encore le Château de Servières. Centre social installé depuis plus de dix ans dans les quartiers nord de Marseille, celui-ci reçoit en résidence des artistes et consacre une partie de ses locaux à des expositions d’art contemporain. Dès la création de la galerie, l’objectif de l’association a surtout été de montrer la création des pays de la Méditerranée afin de faire valoir auprès de son public les marques d’une image identitaire positive et contemporaine. Cette façon d’inscrire la culture dans la ville fonde pareillement le projet intitulé « Lieux communs » qui est mené par l’association Plak’art à Apt et dont l’objectif est d’élaborer, à l’image d’un cartographe, un réseau de signes pour la ville. Programmé sur trois ans, ce projet dont « l’enjeu capital est celui de l’identité culturelle d’un territoire où l’art ne saurait être absent » se manifeste notamment au travers de l’édition d’un journal avant même qu’un catalogue puis un CD-Rom n’en regroupent toutes les étapes.

De la Station au Centre du monde
Plus lent à se renflouer, le phénomène associatif ne connaît sur la Côte d’Azur que quelques rares expressions. Mais non des moindres. Il en est ainsi de La Station, créée en 1996 dans une ancienne station-service appartenant au CHU de Nice et qui est dorénavant installée dans trois appartements prêtés par le même établissement. Lieu de recherche, de réflexion et de rencontre, son objectif est de développer une synergie entre les artistes et le public, grâce à un programme d’expositions et une activité éditoriale. Sur un mode davantage personnalisé, enfin, Le Centre du Monde, conçu et animé par Ben à Nice, se veut comparable sur le plan des idées à l’effet Nino sur le climat, c’est-à-dire qu’il ne laissera pas une seule question sans réponse. Ouvert à tous les publics, ses 100 m2 sont divisés en trois espaces : une galerie-exposition, un espace rencontres et débats et une boutique-librairie. Fidèle à ses principes ethnocentristes, Ben s’attache tout d’abord à y « montrer ce qui se crée dans la région », tout en ouvrant toutes grandes les portes de son centre sur l’extérieur, le principe du pour et contre devant toujours être respecté.

Les projets du FRAC Éric Mangion : « L’aspect le plus significatif et peut-être le plus symbolique de la collection du FRAC PACA à travers ces cinq dernières années est d’axer une partie de ses acquisitions sur la notion de projet. Nous préférons désormais nous concentrer sur des véritables entreprises menées par des artistes ou du moins des œuvres qui fonctionnent comme telles. Cette politique passe souvent par l’achat-production de pièces significatives, symboliques ou génériques, en parfait dialogue entre notre structure et les artistes (Hybert, Barbier, Magnin, Basserode, Tourenc...). Cette démarche nous permet deux éléments absolument complémentaires et nécessaires à la légitimité d’un FRAC : premièrement, ne pas transformer une collection publique en stock d’objets ; deuxièmement, entretenir au-delà de l’achat un échange permanent avec les artistes. » À Luminy L’École supérieure des Beaux-Arts de Marseille est un établissement généraliste qui recouvre tous les niveaux définis par l’enseignement artistique en France, du premier au troisième cycle. Son originalité réside plus particulièrement dans deux structures expérimentales : d’une part, un studio de post-production, Fearless Médi@terranée, équipé d’outils numériques et dont le double objectif est de créer une entité professionnelle à l’intérieur de l’école au service des étudiants, et d’accueillir en résidence des artistes de grand renom comme Thierry Kuntzel, Jean-Pierre Bertrand ou Esther Shalev-Gerz. De l’autre, un post-diplôme Nouvelles Technologies en relation avec un laboratoire du CNRS et l’École d’architecture, situés sur le même campus. Bientôt une exposition muséale retracera l’histoire de ses 30 ans de création.

Des ateliers pour Marseille Thierry Ollat : « Les Ateliers multiplient leur potentiel d’action et leur capacité à promouvoir les artistes installés à Marseille, en collaborant avec les musées, le FRAC, l’École supérieure des Beaux-Arts ou les associations d’artistes de Marseille, autant qu’avec les lieux d’art d’autres villes françaises ou étrangères. Ces participations prennent des formes très variées. Elles vont de l’accueil en résidence à la coproduction d’un catalogue, de l’invitation de commissaires ou de galeristes à visiter les ateliers marseillais à l’organisation d’échanges artistiques avec les partenaires étrangers. Parallèlement à cette activité tournée vers l’extérieur, les Ateliers développent des services destinés aux artistes, comme l’accueil et le conseil, la collecte d’information sur les locaux disponibles, les offres d’emploi spécialisées et les concours, des banques de données sur les résidences et les sources de financements, un service de micro-édition et un accès Internet. » Donation Albers-Honegger Fondateurs de l’Espace de l’Art concret, Sybil Albers-Barrier et Gottfried Honegger n’avaient jamais caché leur intention de donner à l’État français la totalité de leur collection. C’est chose faite depuis avril dernier, le principe ayant été acquis d’une donation au Fonds national d’Art contemporain avec une mise en dépôt définitive et intégrale à Mouans-Sartoux. La collection Albers-Honegger compte quelque 300 œuvres de 126 artistes européens et américains. Des pionniers (Albers et Vordemberge-Gildewart) jusqu’aux plus jeunes (Schiess, Verjux, Rabinowitch), en passant par les Zurichois (Bill, Lohse), les tenants de l’abstraction géométrique (de Calderara à Nemours), du minimalisme américain (Judd, Andre, LeWitt), du groupe Zéro (Uecker) ou du GRAV (Morellet).

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°508 du 1 juillet 1999, avec le titre suivant : ... pas à côté mais un peu partout

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