Vigée Le Brun, une saison XVIIIe

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 25 août 2015 - 660 mots

Vigée Le Brun
En 1825, se sachant au seuil de sa vie, Louise-Élisabeth Vigée Le Brun (1755-1842) met de l’ordre dans ses affaires et prépare son entrée dans l’histoire. Elle rédige son testament en faveur de sa nièce Eugénie, jeune peintre qu’elle prend sous son aile.
Puis, n’étant jamais mieux servi que par soi-même, l’artiste entame le récit de ses Souvenirs sous la forme de lettres à une princesse, dont les Éditions Honoré Champion publient ce mois-ci l’édition critique de référence [établie par Geneviève Haroche-Bouzinac, 864 p., 25 €]. L’apprentie mémorialiste est alors une artiste célèbre qui a portraituré toutes les bonnes familles d’Europe, de Naples à Saint-Pétersbourg, en passant par Vienne et Londres, notamment pendant l’exil qui la tint éloignée de la France douze années durant pendant la Révolution et la Terreur. Parallèlement, l’artiste disperse ses tableaux importants. Au Musée royal du Louvre, elle lègue le portrait de son ami Hubert Robert et son autoportrait avec sa fille Julie, surnommée Brunette, que nous reproduisons en couverture et en page 58. Dans cet autoportrait appelé aussi La Tendresse maternelle (1786), la mère protège sa fille chérie dans ses bras, sans savoir alors quelles peines celle-ci lui causera jusqu’en 1819, date de son décès probablement dû à une maladie vénérienne.
« La dimension mariale du tableau plaît. Au Salon de 1787, certains jugeront que l’œuvre est digne de rivaliser avec la pureté des madones italiennes », écrit Geneviève Haroche-Bouzinac dans la biographie qu’elle consacre à Vigée Le Brun [Flammarion, 690 p., 25 € – lire aussi p. 133]. Les éloges pleuvent. On compare l’artiste au Dominiquin et à Van Dyck ; d’aucuns la jugent à l’égale d’Angelica Kauffmann, l’autre grande portraitiste du XVIIIe siècle qu’elle rencontrera plus tard en Italie. « Ainsi l’Art peut servir les mœurs, plus que les leçons de moraliste », écrit un critique qui a compris que La Tendresse maternelle dépassait la simple représentation d’une mère et de sa fille. C’est en effet un tableau résolument moderne que Vigée Le brun offre, à la veille du XIXe siècle, à la vue du public. À côté du portrait de La Reine Marie-Antoinette et ses enfants présenté lui aussi au Salon de 1787, La Tendresse maternelle incarne le message précurseur, féministe avant l’heure, qu’une artiste peut concilier le succès avec la vie d’une mère accomplie. Car l’artiste a perçu, avant Courbet, qu’elle pouvait prendre la main sur sa propre mythologie, dessiner elle-même, par la peinture puis par la publication de ses mémoires, les contours de son personnage historique qui n’a, en 2015, pas pris une ride : celui de Madame Vigée Le Brun, femme indépendante, portraitiste de la Reine et de l’Europe, à laquelle le Grand Palais consacre, ce mois-ci, la première rétrospective d’envergure en France. Cette exposition constitue l’un des événements de la rentrée, avec les expositions « Picasso.mania », Warhol, Chagall et la musique, Tzara, Gilles Barbier, « Munch/Van Gogh », Balthus… parmi d’autres événements incontournables que nous avons sélectionné, pour vous, dans ce numéro.

Une saison XVIIIe
Après avoir superbement mis en valeur le XVIIe siècle en 2014-2015 avec les expositions Vélázquez, Rembrandt, Nicolas Poussin, « Les bas-fonds du baroque » et Roberto Longhi, le hasard de la programmation orchestre le grand retour du XVIIIe siècle en 2015-2016, dont on a pu récemment admirer l’excellence du mobilier à Versailles, à travers une saison qui ne porte pas véritablement son nom.
La rétrospective Vigée Le Brun inaugure ainsi une série d’expositions qui témoignent du regain d’intérêt pour ce siècle trop longtemps boudé : Fragonard au Musée du Luxembourg en septembre, le siècle de la Pompadour qui verra triompher Watteau, Boucher et Huet au Louvre-Lens en décembre, Hubert Robert au printemps puis Edmé Bouchardon à l’automne 2016 au Musée du Louvre… sans oublier la commémoration de la mort en 1715 de Louis XIV  à Versailles en octobre, qui marque l’avènement d’un nouveau goût. Le Roi est mort, vive le XVIIIe siècle !

Bonne rentrée et, surtout, bonnes expositions.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°682 du 1 septembre 2015, avec le titre suivant : Vigée Le Brun, une saison XVIIIe

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