Tendance Expérience

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 22 novembre 2017 - 639 mots

TENDANCE - Il est devenu difficile, sinon impossible, pour les amateurs comme pour les professionnels aguerris, de connaître l’ensemble des artistes qui composent la scène artistique actuelle. Il y a encore quarante ou trente ans, les critiques d’art et les commissaires d’expositions les mieux informés pouvaient avoir une idée assez précise de la création qui leur était contemporaine. Ce temps est révolu. Institutions publiques et désormais privées, biennales, foires et galeries se sont depuis démultipliées, accroissant de fait l’offre. De plus en plus fréquentées, les écoles d’art charrient chaque année leur lot de nouveaux artistes au sein d’un système de plus en plus mondialisé où émerge, chaque saison, une nouvelle scène (africaine, indienne, asiatique, caraïbe, etc.). Résultat : qui peut, sans risquer de se tromper, dégager une ou plusieurs tendances au sein de la création actuelle ? Mouvements et écoles artistiques ont disparu, quand toutes les pratiques coexistent. Si, comme nous le défendons dans L’Œil depuis quelques années, la peinture s’est enfin réinstallée dans le paysage artistique, notamment en France, on ne peut pas pour autant dire que l’usage de la vidéo ou de l’installation recule. Au contraire : tissage, performance, art cinétique ou figuratif, réflexions politiques sur le monde ou recherches purement esthétiques, stars proclamées du marché et pourtant rejetées par le public, artistes plébiscités quand le marché les ignore, tout cela cohabite désormais dans une création aux contours de plus en plus insaisissables. Et les récompenses décernées n’aident pas toujours à y voir plus clair. Comment dégager, en effet, une tendance – à l’exception de celle de reconnaître enfin le travail d’artistes femmes – entre le travail de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (prix Marcel Duchamp 2017) et celui d’Helen Marten (Turner Prize 2016), de Shirin Neshat (Praemium Imperiale 2017 en peinture), d’Anne Imhof (Lion d’or de la Biennale de Venise 2017) ou encore de la jeune Linda Sanchez (prix Révélations Emerige 2017) ? Pour paraphraser Daniel Arasse, on n’y voit plus rien.

EXPÉRIENCE - On n’y voit plus, mais on entend. Car, au milieu de ce brouillard, une tendance semble bel et bien se dessiner : celle d’un art vécu non plus comme une expérience visuelle ou intellectuelle, mais comme une expérience multisensorielle, où le son et la musique tiennent une place essentielle. C’est le cas de l’installation sonore immersive de Janet Cardiff, Forty-Part Motet (2001), soit quarante haut-parleurs diffusant les quarante voix d’un motet du compositeur anglais du XVIe siècle Thomas Tallis (installation visible à la Fondation Vuitton) ; de la promenade optique et sonore proposée au printemps dernier par Susanna Fritscher pour la réouverture du Musée des arts de Nantes (De l’air, de la lumière et du temps) ; de la série Sound Digressions de Tony Oursler, expérimentation faite à partir de performances musicales présentée en septembre à la Galerie Mitterrand ; c’est aussi le cas, bien entendu, de Studio Venezia, le studio d’enregistrement créé par Xavier Veilhan pour le pavillon français de la Biennale de Venise. L’installation de Doug Aitken, imaginée pour la Biennale de Lyon, est emblématique de cette tendance. Au-dessus d’une excavation emplie d’une eau laiteuse, neuf robinets répartis sur une grille gouttent selon une partition écrite avec précision. Des microphones installés dans l’eau amplifient, comme pour un concert, le son dans l’espace humide de l’installation. Envoûtante, l’œuvre captive littéralement le public de la biennale, qui s’attarde plus longtemps que d’habitude dans cette salle. Son titre, Sonic Fountain (« fontaine sonore »), renvoie étrangement à une œuvre phare de la modernité : Fontaine de Marcel Duchamp. Mais alors que pour l’inventeur du ready-made, c’était le « regardeur » qui faisait l’œuvre, chez Doug Aitken, comme chez Janet Cardiff, Susanna Fritscher, mais aussi Cerith Wyn Evans, Rolf Julius, Tarek Atoui…, la proposition s’inverse : c’est désormais l’œuvre qui fait le « spectateur », celui-ci devenant la condition même de l’expérience sensorielle de l’œuvre.

Rédacteur en chef
fsimode@artclair.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°707 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : Tendance Expérience

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