Patrimoine classé, destructions libres

L'ŒIL

Le 1 avril 2003 - 530 mots

Alors que le musée de Bagdad cherche à protéger au mieux ses collections des destructions et des pillages – on se souvient que lors de la guerre du Golfe le musée de Bagdad fut la proie de vols conséquents – un article de Vincent Noce dans Libération (daté du samedi 15-dimanche 16 mars 2003) évoque avec précision un rapport confidentiel interne au ministère de la Culture sur l’état du patrimoine français, selon lequel « près d’un monument historique classé sur cinq serait en état de péril », soit près de deux mille huit cents églises, cathédrales et châteaux à travers la France. On sait dans quel piteux état se trouvent le Grand Palais, la cathédrale d’Amiens, le Panthéon, les châteaux de Fontainebleau et de Rambouillet, mais c’est aussi le cas de nombreux bâtiments, églises et châteaux dont l’entretien est à la charge de communes ou de propriétaires trop pauvres pour y consacrer les sommes nécessaires. L’article de Libération précise que pour répondre aux urgences quelque « deux milliards d’euros, dont six cents millions pour les propriétés de l’État » devraient être trouvés, et que la dotation budgétaire globale consacrée à ces travaux en 2002 n’était que de cent quatre-vingt-deux millions d’euros. On voit l’ampleur du problème, et la difficulté d’y trouver des solutions satisfaisantes et rapides. À ces soucis s’ajoutent des catastrophes, comme l’incendie le 2 janvier dernier du château de Lunéville, ce « Versailles lorrain » construit au XVIIIe siècle par Germain Boffrand, dont la majeure partie des collections historiques a été détruite. Une campagne de souscription vient d’être lancée en vue de la reconstruction du château.
Mais le patrimoine français n’est pas seul en danger. Les intempéries de 2002 en Europe centrale ont mis cruellement en lumière la vulnérabilité des anciens centres-ville et de leurs monuments. Rappelons qu’à Dresde l’opéra Semper a été endommagé, et particulièrement sa façade ; qu’à Prague le pont Charles, aux arches gothiques ornées de statues, a été raviné par les eaux de la Vltava et la vieille ville également touchée ; qu’en Autriche la vallée de la Wachau, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, a été mise en péril par les crues du Danude.
De son côté l’Icom (le Conseil international des musées) a, dans un numéro récent de son bulletin,
rappelé les déprédations et parfois les destructions que subissent aux États-Unis certains sites d’art rupestre comme le Petroglyph National Monument du Nouveau-Mexique, et les tertres archéologiques de la basse vallée du Mississippi. L’essentiel de ces destructions est causé, dit-on, par des « activités légitimes » : extraction de ressources naturelles, agriculture, mais elles proviennent aussi, et surtout, de l’érosion, du pillage, du vandalisme. Dans d’autres pays du monde, le tourisme incontrôlé, les guerres et les conflits se chargent d’autres destructions.
Il serait bien sûr absurde de prôner la conservation intégrale des traces et des vestiges du passé, de « muséifier » des territoires entiers, et la fièvre du classement prend parfois des aspects cocasses : n’a-t-on pas entendu un matin sur France Culture, un appel au « classement au patrimoine mondial de l’humanité de l’atelier d’André Breton » ? Dans les circonstances mondiales tragiques d’aujourd’hui ces appels polémiques prennent un accent dérisoire.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°546 du 1 avril 2003, avec le titre suivant : Patrimoine classé, destructions libres

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