Made in Germany : mais où se trouve l’Allemagne ?

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 29 octobre 2014 - 551 mots

Quelle ode plus belle au musée et en particulier à son rôle éducatif, que le film de Frederick Wiseman, National Gallery (lire JdA 420) ! Voir comment une conférencière réussit à captiver son auditoire devant Les Ambassadeurs d’Holbein, une autre des mal-voyants, un autre des enfants… À Londres, également, le British Museum livre un exemple inédit dans l’exercice de cette mission essentielle : comment faire comprendre 600 ans d’histoire allemande, si complexe, alors que notre connaissance est plus immédiate, marquée par les guerres et l’horreur nazie ? « Germany : Memories of a Nation » est l’opposée d’une exposition fleuve et s’appuie sur un triptyque : une sélection claire de 200 objets, une série de 30 émissions sur BBC Radio 4 et un ouvrage. Vingt-cinq ans après la réunification, nous ne pouvons percevoir l’Allemagne à travers seulement ses frontières actuelles. Dans la salle 35 du British Museum, sonne à intervalles réguliers la réplique du carillon de la cathédrale de Strasbourg, merveille d’Isaac Habrecht (1589). Strasbourg était allemande, comme autrefois Kaliningrad (le Könisberg d’Emmanuel Kant), comme le Prague de Kafka, Bâle et bien d’autres villes. Dans ces frontières flottantes, pas d’État centralisé, mais une cohabitation de différents empires jusqu’à leur destruction par Napoléon et donc plusieurs histoires allemandes. Difficile alors de prétendre à définir une identité allemande, du nord au sud, de la Hambourg hanséatique à la Bavière. Et Goethe, présent à travers le grand portrait de Tischbein, reconnaissait dès 1796 : « L’Allemagne ? Mais, où est-elle ? Je ne sais pas où trouver le pays ». Prouesses d’inventions, un exemplaire de la Bible de Gutenberg, un autre de la traduction révolutionnaire opérée par Luther et illustrée par Cranach, la réalisation en porcelaine de Meissen du Rhinocéros gravé par Dürer, des icônes du romantisme de Friedrich et Carus, du graphisme et du design du Bauhaus… Baselitz accueille le visiteur, puis Kiefer et, en conclusion, Richter. La partie la plus poignante réside dans une réplique de la grille d’entrée du camp de concentration de Buchenwald. Les nazis avaient exigé d’un détenu qu’il reprenne en inscription, au lieu d’Arbeit macht frei, le principe de justice gréco-romain « À chacun son dû ». Horrible perversion, Jedem das Seine, titre en outre d’une cantate de Bach, créée à Weimar. Mais l’élève du Bauhaus et futur architecte, Franz Ehrlich, avait osé reprendre la typographie du Bauhaus, « art dégénéré », sans que les nazis ne s’en rendent compte… Buchenwald était à côté de Weimar, ville de Goethe aussi. L’exposition souligne ce dilemme plutôt qu’« illustre » l’Holocauste.

Une courte énumération rend mal compte du propos général. La force de Neil MacGregor est d’avoir retenu et articulé des œuvres aussi bien que des objets « ordinaires », qui ont tous en commun d’avoir une histoire à raconter, une mémoire significative à révéler. Et c’est sur eux aussi que s’appuie le directeur du British Museum pour raconter « les » histoires allemandes au long de trente émissions radiophoniques de 15 minutes que l’on peut écouter en direct ou télécharger. Étonnant développement qui enrichit si bien le propos d’une exposition, comme il avait déjà su, en 2010, relater « Une Histoire du monde » à travers cent objets du British Museum. Une date pour comprendre la culture en Allemagne. Deux dates dans l’histoire de la mission éducative du musée.

Germany : Memories of a Nation

British Museum, jusqu’au 25 janvier, ouvrage de Neil MacGregor (Editions Allen Lane, £ 25), émissions depuis le 29 septembre à télécharger gratuitement sur le site du British Museum ou celui de BBC4.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°422 du 31 octobre 2014, avec le titre suivant : Made in Germany : mais où se trouve l’Allemagne ?

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