Art contemporain

Les petits chameaux de… Zineb Sedira

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 17 décembre 2019 - 622 mots

Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci... Zineb Sedira

Fétiche - « J’ai une collection de petits chameaux à laquelle je tiens beaucoup, car je l’ai commencée avec mon fils, lorsqu’il avait 11 ans ; et cela avait créé une jolie complicité entre nous. Aujourd’hui, il a 25 ans et ne s’y intéresse plus, mais je continue de temps à autre à en ramener de mes voyages. Certains sont en bois, d’autres en cuir, d’autres en céramique, en tissu ou en métal, parfois il y a des personnages assis sur leurs dos ou des ballots, des valises, des récipients accrochés à leurs flancs. J’ai même des chameaux cendriers, des chameaux récipients ou des chameaux boîtes ! » Artiste nomade par excellence, Zineb Sedira est née en France de parents algériens immigrés, elle vit à Londres, où elle s’est installée en 1986, et mène une carrière internationale qui la conduit régulièrement aux quatre coins du monde. À travers ses vidéos, ses montages photographiques, ses assemblages et ses installations, elle explore le problème qui lui tient certainement le plus à cœur : la transmission culturelle entre les générations. Un travail qui s’ancre dans la question de l’héritage postcolonial et fait écho à son histoire familiale, mais auquel elle parvient à donner une dimension universelle. À propos du chameau, elle parle avec enthousiasme de sa richesse symbolique : « Ce drôle d’animal, avec sa bosse sur le dos, est non seulement une belle métaphore du voyage, si l’on pense aux longues caravanes qui traversent les déserts, mais c’est aussi le symbole de l’endurance et de la résistance à un environnement inhospitalier, car il peut rester plusieurs jours sans manger ni boire et continuer d’avancer. C’est également pour moi l’image du sacrifice : il accepte tout ce qu’on lui impose avec calme et patience. » Elle marque un temps et ajoute : « J’aime particulièrement l’esthétique des chameaux bibelots des années 1960-1970 qu’il m’arrive de trouver dans des vide-greniers. D’autant que je m’intéresse au mobilier de cette époque depuis l’âge de 18 ans. » Pour preuve, son propre salon londonien qu’elle présente actuellement au Musée du Jeu de paume à Paris, et qui trône au milieu de l’exposition « L’espace d’un instant ». Tout y est : son canapé, ses fauteuils et sa télé vintage, ses lampes, ses livres, ses vieilles affiches de film, ses tapis et autres bibelots. Et justement, sur une étagère figurent quelques-uns de ses chameaux fétiches. En fait, cette période la taraude pour plusieurs raisons : « Ces années ont été traversées par des courants utopiques partagés par toute la jeunesse du monde et par l’espoir de lendemains meilleurs. Et l’œuvre Standing Here Wondering Which Way to Go dans laquelle s’insère mon salon, résulte d’un important travail de documentation que j’ai mené sur un événement un peu oublié aujourd’hui : le Festival panafricain qui s’est tenu en 1969 à Alger. Quelle effervescence alors ! Tous les espoirs étaient permis. Cela fait écho à ce qui se passe actuellement dans cette ville, aux manifestations monstres qui s’y déroulent. Je m’y suis rendue plusieurs fois cette année, et à chaque fois je suis descendue dans la rue comme tout le monde. » Elle poursuit : « Habiter Londres m’a fait prendre conscience de mon “africanité”, et, comme vous pouvez le constater, dans mon intérieur il y a beaucoup d’objets qui y font référence. » Imagine-t-elle justement, un jour, faire une œuvre autour du chameau ? « Qui sait ? », répond Zineb Sedira. Je lui fais remarquer combien la scène française de l’art contemporain est riche d’enfants d’immigrés, tunisiens, marocains ou algériens, comme elle. Elle s’en réjouit, mais remarque : « Le jour où le Pavillon français à Venise accueillera l’un d’eux pour représenter la France, on aura fait un grand pas ! » Chiche ?

« Zineb Sedira, L’espace d’un instant »,
jusqu’au 19 janvier 2020. Jeu de paume, 1, place de la Concorde, Paris-8e. Du mardi au dimanche de 11 h à 19 h, jusqu’à 21 h le mardi. Tarifs : 10 et 7,50 €. Commissaires : Zineb Sedira et Pia Viewing. www.jeudepaume.org
« Zineb Sedira, L’espace d’un instant »,
jusqu’au 26 janvier 2020. IVAM, 118 Guillem de Castro, Valence (Espagne). Du mardi au dimanche de 10 h à 19 h, le vendredi jusqu’à 21 h. Tarifs : 6 et 3 €. www.ivam.es

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°730 du 1 janvier 2020, avec le titre suivant : Les petits chameaux de… Zineb Sedira

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