Le duel - Le match

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 29 août 2017 - 782 mots

Le duel -  L’événement de la rentrée dernière, en France, a sans nul doute été l’exposition de la collection Chtchoukine à Paris. Programmée à la Fondation Louis Vuitton, la collection historique de l’homme d’affaires russe promettait, avant même son ouverture, une fréquentation importante. Avec 1 205 063 visiteurs en cinq mois, soit une moyenne de 9 800 visiteurs par jour, l’exposition a tenu ses promesses, et au-delà puisqu’elle a décroché « le record de fréquentation d’une exposition d’art en France ». Bernard Arnault, le président-directeur général du groupe LVMH, initiateur de la Fondation Vuitton, peut s’en féliciter, lui qui a par la même occasion marqué un point face à son rival François Pinault. Comme dans une partie d’échecs, les deux collectionneurs milliardaires avancent leurs pions chacun leur tour. François Pinault a-t-il ouvert une fondation à Venise ? Bernard Arnault inaugure la sienne dans le bois de Boulogne, dans l’ouest parisien où son rival n’était pas parvenu, dix ans auparavant, à implanter sa collection… Le premier fait-il appel pour restaurer le Palazzo Grassi à Tadao Ando, Prix Pritzker d’architecture et lauréat du Praemium Imperiale ? Le second commande son bâtiment à Frank Gehry, lui aussi Pritzker et Praemium Imperiale, mais aussi – et surtout – l’auteur du Musée Guggenheim Bilbao, qui fait tant rêver les institutions du monde entier… Pinault a exposé Raysse, Polke et Hirst ? La Fondation Vuitton a présenté hors de la Russie ce qu’aucun autre musée n’était parvenu à faire avant elle : une partie de la mythique collection de Sergueï Chtchoukine. Dans cette partie de jeu d’ego, l’avant-dernier coup revient à M. Pinault. Flanqué d’Anne Hidalgo, de son fils François-Henri Pinault, de Tadao Ando et de Jean-Jacques Aillagon – l’ancien ministre de la Culture conseille aujourd’hui le collectionneur –, celui-ci a dévoilé cet été les contours de son futur « musée » qui ouvrira en 2019 à Paris dans le bâtiment annulaire de l’ancienne Bourse de commerce. Ce musée, ont juré messieurs Pinault père et fils, est « une aventure familiale » qui sera intégralement financée par la famille ; il ne fera donc pas appel, « lui », à l’État et aux deniers des Français en ne profitant pas des avantages fiscaux autorisés par la loi mécénat… Une pique lancée en direction de M. Arnault et de sa Fondation Vuitton critiqués pour avoir bénéficié de ce dispositif et pour avoir déguisé du marketing en philanthropie – et tant pis si l’auteur de la loi mécénat, Jean-Jacques Aillagon, se trouve dans les rangs de la famille Pinault ! Rien n’ayant été dit sur la programmation future du musée, Vuitton en a profité pour avancer son atout et annoncer la préparation, en 2020, d’une suite à l’exposition Chtchoukine : « L’exposition de la remarquable collection d’art moderne français et russe des grands mécènes et collectionneurs moscovites, les frères Mikhaïl et Ivan Morozov ». Les Morozov forment cette autre famille qui, avec les Chtchoukine, a dominé la vie culturelle du début du XXe siècle à Moscou. Toutes deux ont fait prospérer la fortune familiale grâce à l’industrie et au négoce, en cristallisant leur rivalité – ou leur émulation – à travers leur importante collection d’art moderne. Tout comme, un siècle plus tard, messieurs Arnault et Pinault. Verra-t-on dans un siècle une fondation réunir les collections Pinault et Arnault et rejouer sur les cimaises d’une exposition leur rivalité ? Cette éventualité ne devrait pas déplaire aux duellistes…

Le match -  Mais c’est un autre duel qui, en cette rentrée, se joue par écrans interposés, puisque Vincent Van Gogh et Paul Gauguin se retrouvent chacun à l’affiche d’un long métrage. La Passion Van Gogh, écrit et réalisé par Kobiela et Welchman (sortie en salles le 11 octobre), est un film ambitieux : d’abord tourné de manière classique avec les acteurs, ses plans ont tous été entièrement repeints à la manière de Van Gogh. Le scénario n’est pas moins inattendu, qui reprend l’enquête, discutable, des journalistes américains Naifeh et White Smith selon lesquels Van Gogh ne se serait pas suicidé, mais aurait été tué accidentellement. Le résultat offre un film d’animation iconoclaste qui, s’il apporte quelque chose de nouveau au genre, ne devrait malheureusement pas renverser le box-office. Pour cela, Gauguin, du réalisateur Édouard Deluc (sortie le 20 septembre), a plus de chances. Tourné dans les décors grandioses de la Polynésie, il raconte le voyage de l’artiste (magnifiquement incarné par Vincent Cassel) à Tahiti, son histoire d’amour avec Tehura et sa quête obstinée, mais désespérée, d’une enfance de l’art qui finira par lui échapper, rattrapée par le mercantilisme occidental que l’artiste cherchait à fuir… Le film sera aidé dans sa quête par la grande exposition « Gauguin, l’alchimiste » qui se prépare au Grand Palais, et par la quantité d’émissions et d’ouvrages qui s’apprêtent à sortir. Si Chtchoukine était l’homme de 2016, Gauguin est assurément celui de cette rentrée 2017.

 

Rédacteur en chef fsimode@artclair.com

 

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°704 du 1 septembre 2017, avec le titre suivant : Le duel - Le match

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