Interroger l’avenir

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 20 octobre 2015 - 739 mots

Interroger
Mais où sont-ils les philosophes, les penseurs, les intellectuels ? Ceux-là mêmes qui sont supposés nous aider à penser – Jacques Attali dirait « à prévoir » – le monde ? Nous nous inquiétions de savoir l’espèce en voie de disparition à cause d’un lent refroidissement de la pensée, nous les retrouvons localisés sur l’archipel des médias et ses îles appelées « On n’est pas couché » et « Le Grand Journal ». Ils s’y sont échoués, dit-on, pour parler politique, et s’y sont installés séduits par la chaleur des lumières médiatiques. Car, le politique rayonne davantage que l’artistique et le culturel, c’est pourquoi les grands esprits de notre époque ont déserté ces derniers domaines. Regrettons-le. Certains nous reprocheront de prêcher pour notre paroisse ; ils se trompent. Nous ne demandons pas aux intellectuels de commenter l’exposition Vigée Le Brun au Grand Palais – quoique, lire la situation de l’Europe et des migrants fuyant les dérives révolutionnaires à partir de cette exposition pourrait nourrir le débat… Mais nous aimerions les écouter au sujet de la polémique Anish Kapoor à Versailles, qui dépasse le seul débat de la place de l’art contemporain au sein du patrimoine ancien depuis que le Château a été condamné par le tribunal administratif pour avoir maintenu des inscriptions antisémites. Nous aimerions les entendre aussi sur le budget de la culture et, pourquoi pas en cette période d’après-Fiac, sur le marché de l’art ; sur le pillage des sites archéologiques et sur la destruction de Palmyre ; sur l’enjeu des droits d’auteur comme sur la liberté de la création aujourd’hui discutée à l’Assemblée ; sur la place de la culture dans l’éducation et la formation des enfants au moment où le Louvre inaugure sa Petite Galerie… Après tout, l’artiste et le musée peuvent-ils tout exposer ? Sinon, avec quelles précautions ? Où commence la liberté du créateur et où se termine-t-elle ? Et celle du musée, comme celle du spectateur ? Comment financer la création pour qu’elle reste libre ? Et faut-il la sponsoriser ? Nos sociétés doivent-elles conserver toute la mémoire des peuples ? Et cette question, la première : que nous apprennent les artistes sur le monde actuel ? Cela pourrait être des sujets de bac philo ; ce sont au contraire des questions politiques, de choix politiques, sinon des questions de société. Philosophes, penseurs, intellectuels : où êtes-vous pour les poser ?

L’avenir
En écho aux formidables expositions « Une brève histoire de l’avenir » présentées au Musée du Louvre et aux Musées royaux des beaux-arts de Belgique, nous posons dans ce numéro la question suivante : l’art peut-il prévoir l’avenir ? Dans son essai qui a donné son nom à l’exposition [Fayard, nouvelle édition 2015, 20,90 €], Jacques Attali postule que la connaissance du passé et du présent permet de prévoir  le futur – et non de le prédire, ce qui n’est pas la même chose. Au Louvre, Dominique de Font-Réaulx (directrice du Musée national Eugène Delacroix) et Jean de Loisy (président du Palais de Tokyo) se sont évertués à transposer ce thème en exposition. « Grâce à eux, explique Attali, j’ai compris que l’écriture d’une exposition n’a rien à voir avec celle d’un livre : on ne s’adresse pas de la même façon à l’intelligence et à la sensibilité. » Leur exposition, l’une des plus passionnantes du moment, parcourt toutes les époques et toutes les cultures, d’une Roue de la loi du VIIIe-IXe siècle à la puissante agora d’Ai Weiwei (Fondation), produite pour l’occasion. Entre les deux, La Parabole des aveugles d’après Brueghel l’Ancien nous dit que notre chute est inéluctable faute de percevoir notre futur ; les toiles d’araignées de Tomás Saraceno nous invitent à imaginer de nouvelles architectures du vivre ensemble ; Thomas Cole nous place déjà en 1836 devant l’effondrement des empires, de leur état sauvage à leur désolation ; l’exceptionnel planisphère de Caverio (XVIe siècle) nous incite à la modestie quant à l’état de nos connaissances ; et que dire de Beuys qui inscrit en 1975 sur les Twin Towers les noms de Côme et de Damien, deux martyrs décapités, annonçant ainsi le 11-Septembre… Rapprochées les unes des autres dans un parcours d’exposition didactique, ces œuvres génèrent du sens nouveau en même temps qu’elles nous invitent à replacer l’art et les artistes au centre de nos sociétés. Et à nous poser cette question, la dernière : le musée n’est-il pas en passe de remplacer nos penseurs ?

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°684 du 1 novembre 2015, avec le titre suivant : Interroger l’avenir

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