Intérêt général

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 1 mars 2011 - 310 mots

Notre société a-t-elle basculé à ce point dans l’individualisme que la notion même d’intérêt général a perdu tout son sens ? Nous pouvons légitimement nous poser la question après plusieurs événements récents qui ne font que confirmer une telle évolution. L’histoire de notre pays est pourtant riche en exemples d’entrepreneurs qui, après avoir fait fortune, ont redistribué à la communauté une partie de leurs gains sous forme d’actions médicales, caritatives ou culturelles. L’affaire de la succession de Claude Berri se situe aux antipodes de ces actes de générosité. Le défunt réalisateur n’est évidemment pas responsable de l’annulation de la dation de quelques œuvres de sa collection au Musée national d’art moderne/Centre Pompidou, à Paris, mais ses fils ont une bien étrange façon d’honorer la mémoire de leur père. Après avoir sollicité une dation en paiement des droits de succession et livré les œuvres au Centre Pompidou qui devait les exposer cet été, les héritiers avaient obtenu de l’État une estimation des œuvres conforme au marché, soit 30 millions d’euros. Mais, fait sans précédent, ils ont finalement préféré retirer leur demande et vendre l’ensemble à un acquéreur qui en offrait davantage. Il est utile de préciser que cette somme ne constituait que la part d’impôt à acquitter, on peut donc imaginer la valeur totale de l’héritage. Ce choix, terrible symboliquement, loin du respect que méritait l’action du collectionneur passionné, est très dommageable pour les collections nationales.
Contestables quand ils sont le fruit de particuliers, certains choix le sont tout autant dans l’administration lorsqu’ils sont manifestement motivés par des intérêts d’ordre privé, dans la culture comme ailleurs. Les personnes préparant, par exemple, elles-mêmes leurs nominations à des postes clés ne sont pas rares. Servir l’État nécessite de l’abnégation, un profond sens du service public et la volonté de privilégier l’intérêt général. Des notions sur lesquelles il est plus que nécessaire de méditer.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°342 du 4 mars 2011, avec le titre suivant : Intérêt général

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