Emballement

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 22 septembre 2021 - 479 mots

PARIS

Une œuvre dynamique, mouvante, faite d’une toile qui embrasse le vent et reflète les rayons du soleil. C’est ainsi que Christo et Jeanne-Claude imaginaient leur projet d’Arc de Triomphe, Wrapped (L’Arc de Triomphe empaqueté), visible à Paris du 18 septembre au 3 octobre 2021. 

L'Arc de Triomphe Wrapped (empaqueté) de Christo et Jeanne-Claude © Photo LudoSane pour LeJournaldesArts.fr, 26 septembre 2021
L'Arc de Triomphe Wrapped (empaqueté) de Christo et Jeanne-Claude.
© Photo LudoSane pour LeJournaldesArts.fr, 26 septembre 2021

Disparus en 2009 (Jeanne-Claude) et 2020 (Christo), les artistes n’auront malheureusement pas vu leur vieux rêve se réaliser, dans cette ville qu’ils ont tant aimée et qui leur a tant apporté en retour. À son décès le 31 mai 2020 à New York, soit quelques jours avant l’ouverture de son exposition « Paris ! » au Centre Pompidou, Christo savait néanmoins que le projet se ferait bientôt, en septembre 2020. Il ne savait pas, en revanche, que la situation sanitaire obligerait le CMN (l’opérateur de l’Arc de triomphe) à le décaler d’un an. Mais qu’est-ce qu’une année supplémentaire dans un projet né il y a soixante ans, en 1961, date du premier photomontage de L’Arc de Triomphe, Wrapped ?

Le temps de l’œuvre est ainsi, chez Christo et Jeanne-Claude : indéterminé. À Paris, Le Pont-Neuf empaqueté avait nécessité plus de dix ans, entre la première idée en 1974 et son inauguration le 22 septembre 1985. À Berlin, il aura fallu plus de trente ans avant que les 90 alpinistes ne puissent habiller le palais du Reichstag le 24 juin 1995.

D’autres projets, comme l’empaquetage de l’École militaire à Paris, n’ont simplement jamais vu le jour… Car l’œuvre ne se limite pas au temps de l’installation, soit seize jours dans le cas de l’Arc de triomphe. Elle comprend toutes les étapes du projet : politiques (les revirements, par exemple, du maire de Paris Jacques Chirac à l’époque du Pont-Neuf), économiques (l’autofinancement par les artistes grâce à la vente des dessins, maquettes…), sociologiques (les réunions organisées en amont pour convaincre les habitants et les commerçants du quartier de la validité du projet), jusqu’à la réception proprement dite de l’œuvre. En 1985, devant la caméra d’Albert et David Maysles [Christo in Paris, documentaire, 58 min], les réactions spontanées des riverains et des touristes disent le passionnant débat qui fut déclenché par l’empaquetage du Pont-Neuf, avec, pour toile de fond des échanges entre les détracteurs et les défenseurs, cette interrogation : est-ce vraiment de l’art ? Légitime, la question du statut de l’œuvre fut déjà soulevée par le critique d’art Otto Hahn en 1965, signe que les Empaquetages de Christo ouvraient, à l’époque, des voies encore inexplorées dans l’art. Et aujourd’hui ? « Je trouve ridicule d’emballer un monument symbolique de l’histoire de France », « Affaire de gros sous et de mauvais goût », « J’ai emballé ma table basse, peut-on aussi appeler ça de “l’art” ? Ridicule… », peut-on lire sur les réseaux sociaux, à côté de messages d’adhésion et d’admiration. L’Arc de Triomphe, Wrapped continue de nous bousculer. Tant mieux ! C’est le signe que l’œuvre de Christo et Jeanne-Claude est toujours bien vivante.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°747 du 1 octobre 2021, avec le titre suivant : Emballement

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