Courrier - Lionello Puppi

Le Journal des Arts

Le 15 janvier 2013 - 504 mots

Je ne peux ni dissimuler, ni passer sous silence le profond sentiment de lassitude que suscite en moi la rumeur autour des tableaux de Canaletto exposés au Musée Maillol, faite de voix pour la plupart anonymes, et qui s’avère désormais être une campagne sournoise et bien orchestrée.

Campagne injustifiée, devant les compétences et la rigueur avec lesquelles l’exposition a été conçue. J’en témoigne en tant que membre du Comité scientifique qui en assume toute la responsabilité.

Soyons clairs : je ne pense absolument pas que le Journal des Arts apporte son concours à une telle entreprise de diffamation : recueillir et faire entendre le murmure indiscret est conforme à son devoir d’information. J’ai même beaucoup apprécié la parfaite honnêteté avec laquelle l’auteur de l’article, Daphné Bétard, a reproduit les passages les plus importants de l’interview et la prudence avec laquelle elle rapporte les jugements malveillants dont elle est obligée de préserver l’anonymat.

Malheureusement tout le problème est là, c’est le point crucial entre l’objectivité et la rigueur du débat scientifique, et l’absence de scrupules et l’effronterie propres à un mercantilisme purement vénal. En matière de problèmes d’attribution, l’usage courant d’insinuations quand on est dépourvu d’arguments solides est inacceptable, tout comme le recours encore plus fréquent à l’anonymat, arme déloyale des irresponsables et des lâches.

Atmosphère empoisonnée et irrespirable, créée par qui fait passer avant l’intransigeante discipline de la recherche son irrépressible besoin de contrôler le marché des vedutisti vénitiens, soutenu par des intrusions – pas plus innocentes qu’inoffensives – d’un autre personnage qui devait avoir les idées si confuses, comme Daphné Bétard nous en fait le récit savoureux, pour refuser à Canaletto la très belle réplique autographe (impeccablement présentée par une fiche circonstanciée de la commissaire de l’exposition, Annalisa Scarpa) du chef-d’œuvre du Kunsthistorisches Museum de Vienne (le Bacino di San Marco dalla riva degli Schiavoni). Il oubliait qu’il l’avait naguère acceptée et garanti de sa propre autorité, en tant que membre du comité de l’exposition du Musée Maillol – comité dont il n’a jamais officiellement démissionné.

Je ne connais que trop bien les tentatives d’intimidation de toute sorte provenant d’une frange peu honorable du monde des marchands et de leurs laquais pour les avoir subies lorsque j’ai permis l’acquisition par la Ville de Venise des deux sublimes vedute provenant de la Collection Crespi en me portant garant de leur très haute qualité et qui sont aujourd’hui l’orgueil de la Cà Rezzonico.

Un vieux proverbe de mon pays dit « à quelque chose malheur est bon » : rien n’interdit de penser qu’une fois retombée la poussière soulevée ces jours-ci autour de l’exposition du Musée Maillol (très appréciée du public, par ailleurs), on puisse aboutir à un congrès réunissant des autorités incontestables et des compétences éprouvées, qui permette de réfléchir et de tirer quelques conclusions sur la difficile question d’une articulation correcte entre les exigences disciplinaires de l’histoire de l’art et les raisons du marché.

Lionello Puppi
, professeur émérite de méthodologie de l’histoire de l’art, université Cà Foscari, Venise (traduit par Anna Chiara Peduzzi)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°383 du 18 janvier 2013, avec le titre suivant : Courrier - Lionello Puppi

Tous les articles dans Opinion

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque