Comment peut-on être critique aujourd’hui ?

L'ŒIL

Le 1 décembre 2004 - 529 mots

Dans la continuité des « dossiers » proposés par L’Œil depuis deux ans, et après ceux qui traitaient de l’Art déco (n° 548), des rapports unissant l’art et le droit (n° 550), de la photographie des deux dernières décennies (n° 551), de la naissance de l’abstraction (n° 552), de l’art contemporain (n° 559), nous avons réuni, pour ce dernier numéro de l’année 2004, des textes d’historiens d’art traitant de la critique durant ce que l’on peut considérer aujourd’hui comme son « âge d’or » – c’est-à-dire la période couvrant la seconde moitié du xixe siècle et la première moitié du xxe siècle. Éric Darragon (p. 80-87), Philippe Dagen (p. 88-91), Gérard-Georges Lemaire (p. 92-99) et Colin Lemoine (p. 78-79) donnent dans ces pages les clefs essentielles de compréhension de ce que fut la critique, de son histoire et de ses enjeux, et nous renvoient comme en écho l’image de ce qu’elle n’est peut-être plus désormais. La critique est avant tout – ou devrait être – jugement, opinion, passion, engagement. Elle implique un savoir, une expertise et la capacité de comprendre le discours et les enjeux de l’œuvre, et bien sûr la volonté et la capacité de partager ce savoir. Le critique d’art idéal se devrait de discuter, de « disputer » au sens le plus noble du terme, du bien-fondé des créations – hors polémiques partisanes, anathèmes, enjeux corporatistes et compromissions diverses. Il se devrait de conjuguer subjectivité et empathie pour l’œuvre à un regard distancié, à une analyse froide des moyens et des fins. Toute critique est indissociable de son temps propre, de son lieu d’émergence et de la création qui lui est contemporaine – sans que cela implique la tabula rasa et le rejet de l’art antérieur.
La réalité est souvent, hélas, bien éloignée de ces définitions. On parle, ici et là, de complaisance si ce n’est de connivences. De critiques que leur manque de connaissances réduirait au rôle de caisse de résonance d’une industrie de divertissement artistique. D’adeptes du « copier-coller », de censure et d’autocensure... D’ayatollahs des causes les plus diverses – les catéchismes et les présupposés idéologiques étant les choses du monde les mieux partagées, quels que soient les bords et les marges où l’on se situe.
Comment être critique aujourd’hui, pour l’art d’aujourd’hui, alors que les frontières s’estompent entre les disciplines, que la mode, le design, l’architecture, la photo, la vidéo, la cuisine, la danse, le graphisme s’interpénètrent et se fécondent ? Alors que les artistes annexent le réel, se mettent eux-mêmes en scène, agissent dans les interstices du quotidien, investissent la ville comme aire de création ou renoncent à la primauté du visuel et de la représentation pour exposer des objets, des textures, des sons, des odeurs, si ce n’est des commentaires plus ou moins pertinents sur l’état du monde ? Bien sûr, toutes les critiques, comme toutes les pratiques artistiques ne se valent pas, encore faut-il pouvoir les distinguer et le relativisme généralisé naît bien souvent de l’ignorance. Devant ces nouvelles pratiques la critique est plus que jamais nécessaire, elle est impérative pour que la discussion s’engage et que la compréhension ou le rejet puissent se manifester en connaissance de cause.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°564 du 1 décembre 2004, avec le titre suivant : Comment peut-on être critique aujourd’hui ?

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