Art et musique

Art actuel et musique : la grande compilation

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 22 février 2012 - 1239 mots

Espace Louis-Vuitton, domaine Pommery, collège des Bernardins… les lieux d’exposition sont nombreux à ouvrir leurs portes à des artistes de plus en plus intéressés par le son.

Si les années 2000 ont été celles de l’échantillonnage et du remix, procédés postmodernes célébrant la mort de l’auteur et le copyleft, les mélanges culturels et l’érudition des pirates du son et de la musique, qu’en est-il des années 2010 ? L’enthousiasme tous azimuts, l’hyperexcitation du public et des artistes pour cette boîte de Pandore numérique se sont tempérés tout en préservant de la diversité.

Chaises musicales
Lorsqu’on pose la question de la production de l’art contemporain en termes de musique, qu’entend-on exactement ? Les exemples ne manquent pas. Les musiciens s’aventurant sur les terres de l’art contemporain pour y trouver un espace libéré des contraintes commerciales sont légion, et ce n’est pas toujours pour le bien de l’art. Ainsi préférera-t-on oublier l’exposition de Patti Smith à la Fondation Cartier en 2008 et celle autour de la production graphique de Leonard Cohen au Musée de Sherbrooke (Québec) en 2010. Que faut-il attendre de la prochaine exposition du trublion Philippe Katerine à La Galerie des Galeries en avril prochain ? Une version plus expérimentale que celle de ses aînés mentionnés plus haut, décomplexée certainement. La visite s’impose donc [lire p.54].

Après, se pose la question de la place du spectateur et de celle de la critique : côté musical ou côté artistique ? Lorsque le pape et précurseur de la musique techno de Detroit, Jeff Mills, mixe sur des films de Buster Keaton ou Joséphine Baker, et qu’il expose à Paris à la Galerie Vallois qui le représente, on ne sait pas toujours comment regarder ces images accordées au son… Comme de l’illustration sonore ? C’est souvent le risque de ces mariages entre art et musique…

La musique sans complexes
À l’autre extrémité, nombreux sont les artistes à trouver dans la musique le terrain d’une expérience live quitte à jouer comme des casseroles dans une veine néopunk affranchie des codes du bon goût et du savoir-faire. Il y a quantité de références en la matière, allant du prix Turner Martin Creed – paroles absurdes, boîte à rythmes basique et voix franchement flottante – aux Californiens Jim Shaw, Mike Kelley (ce dernier proche de Sonic Youth, groupe musical professionnel de renom) et, en France, à Arnaud Maguet (concepteur du label des Disques en rotin réunis) et son comparse Jean-Luc Verna, dont les performances avec les Dum Dum Boys restent dans les mémoires, ou encore au groupe Split composé de Dominique Figarella, Hugues Reip et Jacques Julien, dont aucun des trois ne sait vraiment jouer d’un instrument !

Au-delà de cette dimension performative « extrême », explosant les codes du concert et de la virtuosité musicale, revendiquant un amateurisme débridé presque cathartique, quid de la musique dans les salles d’exposition ? Là, l’affaire se corse. Scène abandonnée postconcert, casques aux fils mollassons patientant sur un clou, instruments automatisés, inévitables pochettes de vinyles – un quasi-talisman pour tout artiste de la musique qui se respecte.

Moments de grâce musicaux
Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain. Il existe des moments de grâce, comme avec cette installation de Stéphane Vigny « composée » de dizaines de cymbales agglutinées et scintillantes à l’Espace culturel Louis-Vuitton ou celle de Saâdane Afif, belle réflexion sur les money chords (accords assurant le succès) joués par onze guitares programmées. Les vidéos d’Anri Sala, artiste fasciné par le langage musical, filmant ici un jazzman, là des musiciens dans une réflexion sur le siège de Sarajevo, ailleurs un D.J. mixant sous la pluie et les feux d’artifice du nouvel an, participent de ces réussites.

La musique a-t-elle généré un genre artistique ? Pas nettement, mais elle innerve les pratiques, aussi omniprésente que dans le quotidien. Elle constitue un matériau fascinant, avec sa nomenclature – la variation ne trouve-t-elle pas un écho naturel dans la sérialité ? – et l’essentielle question de l’interprétation. Un champ, un sujet, une matière en constante révolution, inépuisable.

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Boursier-Mougenot, le son du réel


Il y a larsen et larsen. Celui dû à un dysfonctionnement technique est dangereux pour l’ouïe, tandis que ceux créés et sculptés par Céleste Boursier-Mougenot forment une énergie dynamique et poétique. Alors que les musiciens fuient ce type de sons informes, l’artiste, pourtant formé à la composition musicale, aime les cultiver. Par un savant montage technique entre une sortie vidéo, une entrée son, des caméras et un programme électronique, Boursier-Mougenot a créé une nouvelle version de ses Vidéodrones pour le collège de Bernardins. Ce sont les abords, filmés en continu, qui génèrent les bruissements qui sont au cœur de la nouvelle installation. Le vent dans les arbres, les passants, toutes ces circulations provoquent des variations d’intensités lumineuses qui nourrissent cette nouvelle pièce. C’est un dialogue entre le souffle du dehors, saccadé et en proie au hasard, et l’ambiance plus réfléchie et ordonnée de ces lieux dévolus à la pensée de la religion. Avec la volonté de « mettre en exergue un rapport de présence », Céleste Boursier-Mougenot va nous amener à écouter autrement la musique du monde.
« Céleste Boursier-Mougenot », Collège des Bernardins, Paris-5e, jusqu’au 15 avril 2012, www.collegedesbernardins.fr

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Thomas McIntosh : voir le son


Opération délicate que de se lancer dans la matérialisation des ondes sonores tant cette tâche peut rapidement n’être qu’une démonstration digne d’un cours de sciences physiques. Heureusement, certains artistes arrivent à dépasser les limites de l’exercice appliqué, à l’instar de ce Britannique relativement inconnu sous nos latitudes. Thomas McIntosh a fait appel à un compositeur, Emmanuel Madan, et à un concepteur sonore finlandais, Mikko Hynninen, pour créer son installation visuelle et sonore, Ondulation (2002). La partition électronique est « jouée » grâce à un bassin d’eau dont la surface s’émeut en fonction des sons. Ronds concentriques, lignes et ondulations créés par l’interaction de la pièce sonore et de l’eau dansent sur les parois alentour grâce à un savant jeu de lumière et de réflexion. Le son et lumières se fait ballet hypnotique et danse sensuelle. Dans la grande tradition synesthésique, McIntosh réalise ici une actualisation parfaite d’un sujet chéri des avant-gardes.
« Expérience Pommery #9 : la fabrique sonore », jusqu’au 30 mars 2012, au domaine Pommery, Reims (51), www.pommery.com

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Lyon en Cage
Depuis une dizaine d’années, en lien avec l’événement Musique en Scène, le Musée d’art contemporain de Lyon ne cesse de confronter art musical et arts plastiques. En 2012, il se consacre plus que jamais à la musique, en accueillant la première rétrospective de Robert Combas [lire p. 60].
En septembre, deux ans après l’exposition de la plasticienne et chorégraphe Trisha Brown, le Mac reviendra dans la nébuleuse de Rauschenberg en ouvrant son espace au compositeur américain John Cage. L’élève de Schönberg a opéré dans sa création une synthèse entre les disciplines artistiques, affirmant plus une position de l’artiste dans la société que sa propre vocation. Des textes et des « sculptures sonores » comme Extended Lullaby, un alignement de mécanismes de boîtes à musique sur un support en bois, seront exposés. À l’étage du musée, The First Meeting of The Satie Society traduit l’admiration de l’artiste pour le compositeur Erik Satie. L’œuvre se présente comme une collection de livres, de dessins, de notes et de lithographies de personnalités qui ont inspiré Cage, de Duchamp à Sol LeWitt, réunis et comme offerts à l’artiste français dans une valise gravée de ses mots.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°644 du 1 mars 2012, avec le titre suivant : Art actuel et musique : la grande compilation

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