Photographie

Tendance Floue - Le collectif à l’épreuve

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 22 juin 2011 - 897 mots

Ils sont fous ces Floue ! C’est ainsi, paraphrasant une formule célèbre, que l’on pourrait qualifier « les » Tendance Floue. De fous. Créer un collectif de photographes en 1991, à la veille d’une crise dont le photojournalisme ne sortira pas indemne, avait tout du projet farfelu.

« Le photojournalisme est mort, vive le photojournalisme », semblaient dire en creux les cinq fondateurs de l’association : Thierry Ardouin, Denis Bourges, Mat Jacob, Caty Jan (gravement accidentée en 2003) et Patrick Tournebœuf. Vingt ans plus tard, en 2011, l’histoire leur a pourtant donné raison. Les « Tendance », cette hydre passée de cinq à quatorze têtes, se sont solidement installés dans un paysage longtemps dominé par des agences « à la papa » : les Magnum, Sygma, Gamma et Sipa.  

Un pour tous, tous pour Tendance
La force de Tendance Floue ? Une « alchimie » – le terme est d’Olivier Culmann, rentré chez Tendance en 1997 – propre à susciter une sympathie généralement accordée aux groupes de rock. Car dans le petit monde de la photo, les Tendance ont leurs fans, séduits par cet esprit de liberté qui continue d’animer le groupe. « La liberté, oui ; individuelle, non ! », se souvient Thierry Ardouin.
Pas vraiment collectif ni vraiment documentaire, Tendance Floue fédère une somme d’auteurs aux intérêts et aux caractères si différents qu’ils deviennent complémentaires. Thierry Ardouin, longtemps administrateur du groupe, « un boulot à plein temps », se remémore-t-il, a volontiers cédé sa place à Pascal Aimar, rentré chez Tendance en 1997, « plus carré que [lui] ». À chacun son rôle. Si Ardouin se charge plus facilement des projets intégrant la vidéo, Mat Jacob s’occupe des projets éditoriaux. « Très présent » tout en étant « retiré des affaires courantes », Tournebœuf a quant à lui piloté la campagne de recrutement qui a vu rentrer, en 2011, Bieke Depoorter et Alain Willaume quand Bertrand Meunier, arrivé en 2006, s’occupe d’organiser la soirée de projection programmée à Arles pour fêter les 20 ans du groupe. « Chacun doit se saisir d’un dossier », défend Ardouin, la distribution se faisant dans les locaux de Montreuil lors de la réunion de groupe hebdomadaire. Et gare à ceux qui seraient absents ! 

Un règlement tacite
S’il n’existe pas de charte écrite – « Nous ne sommes jamais parvenus à la rédiger », avoue Culmann –, des règles tacites régissent le groupe, comme celle qui veut qu’un auteur en rade prenne la dernière commande arrivée. Ou cette autre règle qui « oblige » chaque membre à reverser 35 % de ses revenus (sauf ventes en galerie) à l’association devenue depuis peu une coopérative, sur le modèle de Magnum. Une règle difficile à défendre quand les revenus vont de 1 à 5 au sein d’un même groupe. Et pourtant…
Pourtant, cette fois encore l’alchimie fonctionne, donnant naissance à ce super-auteur formé du corps de tous les autres : Tendance Floue. Un auteur aux contours indéfinissables, qui entre tantôt dans la sphère de la photographie documentaire, tantôt dans celle de l’art contemporain. Tendance « floue », vous dit-on. Car si chacun des membres, dont certains sont devenus des « stars » à l’instar de Tournebœuf, continue son travail personnel, le groupe n’en poursuit pas moins ses projets collectifs. 

Mad in Sète
Nés à Arles en 1991 après avoir publiquement brûlé des négatifs – « Un acte plus politique qu’artistique », prévient Ardouin –, les Tendance savent unir leurs styles autour de projets communs. Cela prend parfois la forme d’un cadavre exquis visuel dont peut naître un livre, comme le fut Nous traversons la violence du monde (1999). D’autres fois, la démarche est plus conceptuelle, comme ce 25 mars 2004 où, postés dans dix pays, les Tendance ont appuyé en même temps sur le déclencheur, à 00 H 00 GMT. 
Mais le projet le plus significativement collectif se situe dans les « Mad », ces « publications issues d’interventions improvisées de création avec tout le groupe de photographes et ses collaborateurs dans un lieu donné et dans un temps donné », pouvait-on lire lors du dernier Mad réalisé à Sète, dans le cadre du festival ImageSingulières au mois de juin. Mad in China (2007), India (2008), France (2009) et désormais Sète (2011) inscrivent Tendance Floue dans les légendes qui font l’art. « Si certains photographes ne se définissent pas toujours comme des artistes, le collectif, lui, cherche l’acte artistique », écrit Mat Jacob en postface au « Photo Poche » consacré à la tribu (n° 132). 
« Il y a un va-et-vient permanent entre l’individu et le collectif », admet Culmann, qui a pu éprouver cet aller-retour à Sète, après avoir suscité un vif débat au sein du groupe. Il s’était, avec Aimar, mis en scène dans son propre reportage. « Un jeu dangereux », reconnaît l’intéressé, qui n’a pas été du goût de tous. Entre les ego collectif et individuels, là aussi, la frontière est parfois floue.

Repères

Avril 1991 Les cinq fondateurs du collectif déposent les statuts de l’association.

1997 Six nouveaux membres rejoignent le groupe.

1999 Nous traversons la violence du monde, premier livre d’une trilogie terminée en 2006 par Sommes-nous, préfacé par Baudrillard.

2007 Premier Mad in collectif en Chine.

2011 Le collectif créé il y a 20 ans passe à 14 membres. En juin, réalisation du Mad in Sète dans le cadre du festival de photographie ImageSingulières.

Rencontres d’Arles :

Expositions collective et individuelles du 4 juillet au 18 septembre.

Projection au Théâtre antique le 6 juillet. www.rencontres-arles.com

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°637 du 1 juillet 2011, avec le titre suivant : Tendance Floue - Le collectif à l’épreuve

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque