Rouen, ville d’eau et d’impressionnisme

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 18 juin 2010 - 1030 mots

En son musée des Beaux-Arts, la cité normande rend hommage à Monet, Pissarro et Gauguin, trois peintres qui y ont puisé la source de leur art. Et de redonner à la ville sa place dans l’histoire.

Si Corneille, Géricault et Flaubert sont tous trois natifs de la capitale de la Haute-Normandie, Rouen peut aussi s’enorgueillir d’avoir retenu nombre de voyageurs, non moins célèbres, frappés par la qualité naturelle du site. C’est que Rouen s’est développée sur un fleuve à estuaire et présente, comme Paris, une tête de méandre et des collines en amphithéâtre qui s’abaissent vers elle.

Une collection de vues à peindre 
Parce que la lumière y est douce et subtile, Rouen ne pouvait donc qu’intéresser les impressionnistes. Véritable phare du festival « Normandie impressionniste », l’exposition organisée par le musée des Beaux-Arts, « Une ville pour l’impressionnisme : Monet, Pissarro et Gauguin à Rouen », s’applique à faire valoir la réciprocité du rôle qu’ont joué la ville et trois de ces artistes à la fin du XIXe siècle.  En fait, dès le début de celui-ci, Rouen s’avère être une ville prisée de nombreux paysagistes qui y trouvent beaucoup de motifs à leur goût. Bonington, Huet, Jongkind, Corot, Turner fixent ainsi sur leurs toiles tant les bateaux sur la Seine que l’imposante façade de la cathédrale, tant les admirables points de vue que l’on a sur la ville que la campagne aux environs.

Dans son port fluvial et maritime tout à la fois, Rouen a toujours vu aborder de grands navires de commerce, et ce sont les grands voiliers qui dominent lorsque Claude Monet y effectue ses premiers séjours au début des années 1870. Si les peintures qu’il exécute alors en disent long sur sa volonté d’instruire les termes d’une nouvelle esthétique fondée sur la fusion du sujet traité dans la lumière ambiante, elles préfigurent la radicalité d’Impression, soleil levant. Certes, le réalisme lumineux qui les gouverne retient encore le peintre dans le soin d’une description qui distingue les éléments les uns des autres, mais on mesure combien Monet est à deux doigts d’un basculement qualitatif vers une osmose généralisée du motif comme dans le tableau du Havre. Parler ici de préimpressionnisme prend alors tout son sens. 

Rouen, Monet et les cathédrales
En revanche, dès lors qu’il s’agit de retrouver Monet à Rouen quelque vingt ans plus tard au travail de la série des cathédrales, c’est d’un au-delà de l’impressionnisme dont il faut parler. Dont a magnifiquement parlé Kasimir Malevitch. Le fondateur du suprématisme voit en effet dans cet ensemble l’une des formulations les plus audacieuses d’une réflexion sur la peinture pour elle-même. « Si Claude Monet avait absolument besoin des plantes picturales qui poussaient sur les murs de la cathédrale, par contre, on peut dire qu’il considérait le corps même de cette cathédrale comme les plates-bandes des surfaces-plans sur lesquelles poussait cette peinture nécessaire… », écrit-il en 1919.  Tout est dit. De la prescience chez Monet d’une peinture à venir qui soit libérée du sujet, d’une vision de peinture pure chez Malevitch. Et Rouen de pouvoir se flatter à nouveau d’être à la source d’une telle prospective. 

La Seine de Pissarro
La présence de Pissarro à Rouen (il y séjourna à plusieurs reprises entre 1883 et 1898) est essentiellement marquée, quant à elle, par l’élaboration d’un nouveau genre, le paysage urbain moderne. S’il s’est tout d’abord fait connaître pour ses représentations de la vie rurale, l’artiste trouve dans la capitale haut-normande l’occasion d’un contrepoint citadin singulier. Sensible à la diversité des points de vue qu’elle offre du fait de sa topographie, Pissarro s’intéresse tout d’abord à retranscrire la vie paisible d’une ville ancrée au bord de la Seine, exploitant une facture faite de petites touches courtes. Par la suite, il s’applique à brosser des panoramas sur la ville beaucoup plus amples, aux allures parfois de vues aériennes, comme s’il voulait l’embrasser du regard. Si l’ensemble de ces tableaux, qui datent de son dernier séjour à la fin des années 1890, présentent une matière plus remuée, leur traitement fait état du brutal et perpétuel changement de la lumière dans laquelle baigne la cité. 

Gauguin, dans les pas de Pissarro
L’installation de Gauguin à Rouen au début de l’année 1884 est un épisode bien mal connu de la vie de l’artiste. Elle correspond toutefois à un moment décisif de son histoire, même s’il ne fait jamais que de très brefs séjours dans la ville. En rupture sociale et affective, Gauguin s’est officiellement déclaré « peintre-artiste » et il est décidé à ne plus se consacrer qu’à la peinture. Proche de Pissarro, il suit ses conseils, décide de fuir la capitale et vient donc le rejoindre à Rouen. 

Au cours des dix mois où il s’y trouve, Gauguin développe une œuvre qui interroge dans le plus pur style impressionniste. L’influence de son aîné y est patente, notamment au regard d’une iconographie récurrente qui s’attarde sur des sujets d’une grande simplicité, l’artiste préférant les rues anonymes, les chemins discrets et les points de vue banals à toute représentation lyrique ou emphatique. En ce sens, la période rouennaise de Gauguin instruit son œuvre à l’ordre du ressenti d’une réalité humble et sans fard. Le regard qu’il porte sur le monde qui l’entoure relève d’une esthétique de la proximité, dans cette qualité qui est la sienne d’un artiste qui se nourrit d’expériences immédiates et concrètes.

Monet, Pissarro, Gauguin… À des titres divers et variés, la présence de ces trois artistes n’aura pas manqué de marquer la scène normande d’un sceau indélébile. Les œuvres qu’ils ont réalisées à Rouen ont joué un rôle considérable dans le développement d’une école éponyme qui compte toute une population d’excellents « petits maîtres » de très belle facture, tels Robert Antoine Pinchon, Albert Lebourg ou Charles Frechon.

À lire

Le Guide du Routard propose de découvrir l’impressionnisme en Normandie à travers douze itinéraires touristiques. Ce guide en couleurs répertorie tous les sites liés à l’impressionnisme, de la ferme Saint-Siméon à Honfleur au musée des Impressionismes à Giverny. Il en raconte l’histoire et sélectionne les hôtels et restaurants dont le charme n’aurait pas laissé indifférents Monet, Renoir et les autres.
Le Guide du Routard, La Normandie des impressionnistes, Hachette, 14,90 euros.

Autour du festival

Infos pratiques.
Cet été, avec le festival « Normandie impressionniste », ce sont plus de 100 collectivités normandes qui se mobilisent, pour plus de 300 manifestations : expositions, spectacles, concerts, etc. Toutes les informations et le programme sur www.normandie-impressionniste.fr

Archéologie impressionniste.
En juin, l’Inrap a organisé à Jouy-en-Josas (78) les premières fouilles archéologiques de l’histoire de l’art contemporain !
Celles de la performance intitulée Le Déjeuner sous l’herbe en clin d’œil à la toile impressionniste de Manet, réalisée en 1983 par Daniel Spoerri, figure majeure du Nouveau réalisme. Il avait alors entrepris d’enterrer un banquet, avec ses tables et les restes des agapes. Les vestiges seront exposés les 7 et 8 octobre au Centre Pompidou. www.sdtp.eu

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°626 du 1 juillet 2010, avec le titre suivant : Rouen, ville d’eau et d’impressionnisme

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