Art contemporain

Andy Warhol, Pop star académie

Par Lina Mistretta · L'ŒIL

Le 15 décembre 2008 - 1233 mots

Le sujet Warhol semble inépuisable. Avant l’ouverture de « Warhol TV » en février à Paris, Montréal programme « Warhol Live », qui explore les rapports de l’artiste à la musique. Entre sa passion pour l’opéra et son intérêt pour l’avant-garde, ça swingue.

Il est difficile d’imaginer qu’une icône excentrique aussi surexposée et surmédiatisée que Andy Warhol (1928-1987) réussisse à garder sa part de mystère, qu’une parcelle de sa vie et de son œuvre fut inexplorée jusqu’alors. L’exposition « Warhol Live » proposée par le musée des Beaux-Arts de Montréal dévoile et analyse de façon magistrale comment la musique, mais aussi la danse, ont traversé de façon prépondérante et permanente l’œuvre de Warhol de 1948 à 1987. Ces thèmes n’avaient jamais été développés ni dans sa biographie ni dans le cadre des innombrables rétrospectives qui lui ont été consacrées.

Loin des clichés montrant un dandy superficiel et ravi, les nombreux documents conservés, les films inédits et les interviews font apparaître un Warhol plus complexe que l’image traditionnelle, une personnalité ambivalente, parfois opaque, s’abstenant d’aborder « l’autre versant » de ses goûts et de sa personnalité pour mieux peaufiner son personnage, pratiquant la « stratégie du mutisme » cher à son mentor et ami le compositeur John Cage, compositeur de Quatre minutes trente trois de silence.

Warhol fut un véritable touche-à-tout, à la fois illustrateur, peintre, photographe, producteur, cinéaste, éditeur et auteur, mais il n’a jamais composé de musique alors qu’elle est omniprésente dans sa vie et influence même son œuvre. Il aime toutes les musiques : les comédies musicales, l’opéra, le rock, la musique expérimentale. Elles cohabitent de façon permanente, se juxtaposent souvent, se télescopent parfois dans un chaos sonore, comme l’extériorisation d’un voyage intérieur. Il peut écouter des journées entières du rock ou de l’opéra. Ou les deux simultanément !

De Marilyn à la Callas
Selon Matt Wrbican, archiviste au Andy Warhol Museum, la discothèque de Warhol « est plutôt éclectique et a changé avec le temps… de la musique de culture jeune… beaucoup de coffrets d’opéra et aussi des comédies musicales de Broadway ». Adolescent, il découvre la musique par le biais du cinéma. Il est fasciné par l’univers hollywoodien des comédies musicales. Il idolâtre Judy Garland et Lisa Minnelli dont il collectionne les photos. Il les assemblera dans un panneau scrapbook. Marilyn Monroe est l’autre icône cinématographique et musicale superbement sérigraphiée, frappée en pièce de monnaie sous forme de deux petits tableaux circulaires – pile et face. Voilà un comportement idolâtre qui va à l’encontre de l’image de dandy froid que Warhol cultiva par la suite.

Son intérêt pour l’opéra fut indéfectible pendant 30 ans. Il possédait dans sa discothèque d’innombrables enregistrements et a disposé d’un abonnement au Metropolitan Opera de New York pendant de nombreuses années. Cette fréquentation assidue de l’opéra lui fit assister, entre autres événements marquants, aux débuts triomphants de la Callas et à son ultime représentation ratée.
Entre la publicité, média distancié qui relève de l’esthétique, et la musique, art qui fait appel à l’émotion, la dualité d’un Warhol illustrateur branché et mélomane chevronné propose une relecture passionnante de son personnage.

Warhol and Coca Cola
En 1963, Warhol fonde un groupe musical, les Druds, entouré d’autres artistes dont le peintre Jasper Johns. Il ne s’est jamais produit, mais a été enregistré lors d’une répétition. Parmi les chansons, Coca Cola Song et Hollywood renvoient clairement au Pop Art.

Warhol devient en 1966 le manager du Velvet Underground, premier groupe multimédia. Il produit Exploding Plastic Inevitable, un spectacle total associant improvisations rock assourdissantes, films projetés simultanément, éclairages agressifs et surcharge visuelle formant un chaos médiatique propre à choquer un auditoire non préparé. L’outrance est un autre vecteur de l’art warholien.
Observateur de la culture pop, le sociologue Mac Luhan incluera une photo du groupe Velvet dans son ouvrage Le Média est le message illustrant son principe selon lequel le support se substitue au message. Le contenant devient plus important que le contenu. En créant ces groupes, Warhol s’approprie un champ de culture populaire où l’artificiel, le culte de l’image et la marchandisation renvoient à son art, reprenant les mêmes notions commerciales et populaires.

En 1963 Warhol assiste à l’exécution des Vexations d’Erik Satie (1893) interprétées par dix pianistes – dont John Cage et John Cale, figures majeures de la musique d’avant-garde. Elle consiste en une mesure de quatre-vingts secondes répétée huit cent quarante fois. De cette musique répétitive naît chez Warhol l’idée des images multipliées sur la toile.

Durant cette période, son travail se focalise à la fois sur le son et l’image. Collection d’objets, d’œuvres d’art, de photographies, enregistrements audio, son art ainsi que ses enregistrements sonores et filmiques sont basés sur la même stratégie temporelle et sérielle. Produit de cette sérialisation : pas moins de trois mille bandes. Concernant leur objet, Warhol emprunte à Duchamp le précepte selon lequel tout est art, « les clameurs de la société de consommation, les désastres médiatisés, le ronronnement d’un projecteur, le sommeil d’un ami ». Une de ces œuvres, Sleep, basée sur la répétition de segments d’images capte le sommeil du poète Jean Giorno.

L’entourage des artistes
Warhol aime la musique mais surtout, dit-il, ceux qui la font. Tout au long de sa carrière, il réalise les portraits des icônes de la musique du xxe, Elvis Presley ou Mick Jagger, et illustre plus d’une cinquantaine de pochettes de disques – cinquante-huit connues à ce jour. Il travaillera avec les labels les plus prestigieux et les plus grands artistes : Count Basie, Aretha Franklin, John Lennon, les Beatles et les Rolling Stones pour lesquels il réalisa trois pochettes de disques dont la cultissime Sticky Fingers. Pour son groupe Velvet Underground, il réalise en 1967 la première pochette participative de l’histoire avec sa banane autocollante accompagnée de l’instruction « peel slowly and see ». Le disque est en phase avec la philosophie de l‘art warholien, c’est un multiple, vecteur de diffusion auprès du plus grand nombre. Il renvoie à la culture de masse liée à son art.

Cependant, si Warhol s’ingénie en apparence à déconstruire les prétentions transcendantales de l’art par une culture de masse, l’intérêt qu’il porte à la musique est le support émotif qui lui rend son authenticité et sa profondeur.

La bande-son de l’exposition montréalaise

Omniprésente, la musique guide le visiteur à travers une exposition fleuve. De Shirley Temple à Diana Ross, les chansons s’enchaînent au fil des salles. Le parcours chronologique et thématique explore la culture musicale de Warhol et met en exergue les moments-clés. Elle présente plus de six cent quarante pièces, peintures, sérigraphies, photographies, films, pochettes de disques, documents triés des archives personnelles de l’artiste. La plupart proviennent du Warhol Museum de Pittsburg. Certaines sont totalement inédites comme la bande originale du groupe rock créé par Warhol, the Druds, enregistré lors de rares répétitions. Un haut-parleur diffuse Coca Cola Song…

L’univers reconstitué d’Andy
Près de la pièce aux fameuses boîtes Brillo, une alcôve tapissée d’aluminium où trône un immense canapé de velours rose reconstitue la Silver Factory, l’atelier new-yorkais de Warhol. Plus loin, un écran géant affiche sur le mur le visage sublime de Nico, la chanteuse du groupe Velvet Underground. La salle Silver Clouds, qu’il créa chez Leo Castelli en 1966, projette Rainforest, la chorégraphie de Merce Cunningham. Les pochettes de disques illustrées par Warhol sont rassemblées sur un long mur central transparent, près de la collection personnelle de Warhol où Elvis Presley côtoie Jeanne Moreau.

Autour de l'exposition

Informations pratiques. « Warhol Live » jusqu’au 18 janvier 2009. Musée des Beaux-Arts de Montréal. Tous les jours, sauf le lundi, de 11 h à 17 h, mercredi, jeudi et vendredi jusqu’à 21 h. Tarifs : 9 et 4,50 e. www.mbam.qc.ca

Warhol en musique. La compile idéale d’Andy Warhol pourrait commencer par Les Vexations de Satie. Plage 2, on téléchargerait (légalement !) « Heroin », titre historique extrait du premier album du Velvet underground. Viendrait ensuite « Brown Sugar » de l’album Sticky fingers (1971) des Stones dont Warhol a réalisé la cultissime pochette, avant de charger « Andy Warhol », chanson écrite par Bowie en hommage à l’artiste (Hunky Dory, 1971). Pourraient ensuite s’enchaîner « Hello Again » du groupe The Cars (Heartbeat City, 1984) pour lequel Warhol a réalisé le clip et « French Kissin in the USA » de l’album Rockbird (1986) illustré par Warhol, interprété par Debbie Harry, l’égérie Pop. Et pour terminer ? « 4’33’’ » de silence du compositeur John Cage.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°609 du 1 janvier 2009, avec le titre suivant : Andy Warhol

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