Visite d'atelier

Robert Combas, la figuration envahissante

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 26 septembre 2008 - 1489 mots

L’atelier est à son image : bavard, curieux et boulimique. De son espace de travail à sa collection de vinyles, en passant par sa bibliothèque, voyage en « Combasie ».

Impossible de l’arrêter de parler, et c’est tant mieux ! On l’écouterait d’ailleurs des heures et des heures tant ce que l’on apprend de sa passion pour la peinture, pour l’image illustrée ou pour la musique, tant ce que l’on découvre de ses doutes, de ses obsessions et de ses impatiences est la meilleure façon d’entrer dans son monde. Il faut le laisser vous débiter comment il a pensé telle exposition, composé tel tableau, dessiné telle figure. Il faut l’écouter vous expliquer comment il a été marqué par la disparition de telle personne et n’a pu s’empêcher de l’exprimer ; comment il s’est surpris lui-même à brosser un visage pour se rendre compte a posteriori qu’il avait les traits de son père récemment décédé. Il faut le laisser vous entraîner à la découverte des trésors d’archives de sa bibliothèque et de sa discothèque pour prendre la juste mesure des référents qui sont les siens et apprécier ce qui le motive au plus profond de lui.
La cinquantaine encore toute fraîche, Robert Combas se révèle sous des traits inattendus. S’il a gardé de ses origines sétoises cette faconde et cet accent si caractéristiques, s’il fait toujours preuve d’une énergie intarissable à l’écho d’une sorte d’urgence, voire de panique, dont son art se repaît, Combas n’est plus le jeune homme insouciant et intempestif des années 1980. Initiateur de la Figuration libre, il s’est inventé un style et une facture propres qu’il décline à l’aune d’une production étonnamment profuse. Une production proprement invasive qui oblige le visiteur à s’y immerger pleinement.

Une sorte de Factory sans Warhol, à la sauce Combas
Installé depuis quelques années dans la toute proche banlieue sud de Paris, à portée de métro du centre, Robert Combas occupe un vaste et lumineux atelier où il travaille assisté de Ricardo, fidèle au poste depuis une quinzaine d’années. L’espace est énorme – pas moins de 400 mètres carrés –, mêlant lieux de vie et de travail, agrémenté d’un jardin intérieur, d’une cuisine-bar et d’un grand salon.
L’atelier proprement dit se développe sur une très grande surface tout autour d’un noyau architectural qui fait office d’espace de rangement et sur les côtés duquel courent de nombreux rayonnages surchargés de bouquins, d’objets et de babioles en tous genres. Tout y est dédié au travail de Robert, aussi cela tient un peu du capharnaüm tant il n’arrête pas un instant, toujours occupé à préparer une exposition quand il ne l’est pas à superviser la maquette d’un catalogue, à concevoir une estampe ou à prévoir le tirage d’un bronze.
Parce que nécessité s’est imposée de disposer de locaux plus conséquents pour stocker ses œuvres, structurer sa documentation, gérer sa production, administrer son actualité, Combas s’est agrandi en occupant un appartement en dessous. Bureaux, show-room, placards emplis de dossiers, racks où ranger les tableaux, l’atelier de Combas a pris au fil du temps l’allure d’une petite entreprise.
Si l’on ne peut s’empêcher de penser à la fameuse Factory de Warhol, on en est très loin tout de même, et puis Combas n’est pas du genre à déléguer la partie pratique et besogneuse de ses créations. Il lui faut mettre la main à la pâte. Il est quelqu’un d’entier, de très sensible, à la sensualité à fleur de peau. Chaque instant créatif relève chez lui d’une mise en jeu essentielle, voire existentielle ; rien n’y est jamais gratuit, tout y est tout à la fois puissamment réfléchi et ressenti.
 
Bibliophile averti, il sort quelques livres rares de sa bibliothèque
Alors que Ricardo, le portable collé à l’oreille, est en train de régler une question de transport tout en concluant un empaquetage, Robert Combas, chemise rayée, blue-jean, tongs et chaussettes noires, s’est arrêté un instant devant une petite toile au motif de fleurs, simplement posée sur un chevalet. Celle-ci fait partie d‘un ensemble qu’il a réalisé pour son exposition à la Fondation Vincent Van Gogh d’Arles. Pour ce faire, il a choisi de partir des fleurs. « Pour moi, dit-il, les fleurs, c’est le Sud, la couleur. Ça paraît un peu bateau, mais c’est de ça dont j’avais envie. » Et, de fait, ses peintures de fleurs dont les formes sont volontiers sexuées dégoulinent à plaisir de couleurs. Quelque chose d’une jouissance de la matière picturale y est à l’œuvre qui lui appartient en propre. Comme pour se justifier d’une parfaite connaissance botanique, Combas file vers l’une de ses bibliothèques et revient avec une vieille édition autrichienne d’un herbier alpin dont les motifs lui ont servi de modèle.
À un autre moment, comme il passe devant un rayonnage sur lequel sont posées trois petites gravures de Dürer, Robert n’est pas peu fier de les exhiber. Achetées en vente publique, il en décrit minutieusement l’iconographie : ici, Ponce Pilate qui se lave les mains ; là, le baiser de Judas ; là encore, un christ en croix. Combas adore tout ce qui est gravure et c’est un bibliophile averti.
D’une autre bibliothèque, il extirpe un premier livre, un exemplaire signé du Andy Warhol’s Index (book), Black Star Books, une des perles éditoriales du pape du Pop, publié en 1967 par NY Random House ; puis il en extrait un autre, intitulé L’Idée, daté de 1920, illustré de 83 bois gravés, œuvre d’un artiste belge du nom de Frans Masereel, inventeur du « roman sans parole », sorte de récit graphique composé d’une suite de gravures symboliques, dont Thomas Mann était friand.

Une collection de 78, 45 et 33 tours, du sol au plafond
Tout en continuant de parler – et de marcher – pour dire sa totale admiration de ce graveur pas assez reconnu de son point de vue, Combas pousse la porte d’une petite pièce dans laquelle il pénètre en prenant ses précautions. Du sol au plafond, celle-ci est envahie par sa collection de disques. Une vraie caverne d’Ali Baba. Difficile d’y circuler : des 78, des 45, des 33 tours, il y en a partout, les uns rangés sur des rayonnages chancelants, les autres en vrac dans des cartons ou entassés pêle-mêle sur le parquet. Robert est là au beau milieu de ses trésors, se saisit de quelques-uns pour les montrer : « ça, c’est une chanson de Jean Ferrat sur la drogue ; ça, c’est un des tout premiers Beatles ; ça, c’est un album des Bee Gees… »
Souvenirs, souvenirs… ! à la fin des années 1970, Combas avait créé un groupe de rock – Les Démodés – qui s’est produit dans de nombreuses boîtes dans le Midi puis, jusqu’en 1984, à l’occasion de quelques-unes des expositions de la Figuration libre. Il gratte encore volontiers la guitare pour se détendre et en a même « sculpté » une tout spécialement pour l’exposition d’Arles.
De la bande dessinée à la religion et aux mythes, en passant par le fait divers, l’actualité, le sexe, la bouffe, la bêtise comme la beauté humaine, l’histoire de l’art et ses héros, etc., Robert Combas s’empare de tout. Sans complexe, il s’est accaparé le motif du Christ en croix et a bricolé à l’aide de ses pinceaux plusieurs crucifixions inédites ; elles reposent sur une table, curieusement emmaillotées dans un plastique transparent.  Pour Arles, Combas, qui aime déjouer les attendus, a brossé une étonnante série non d’Arlésiennes mais de Méditerranéennes. Tout un monde de figures féminines porteuses de mémoires et de traditions, du genre de nos chères grand-mères à la fois « confiture » et « morale ».
Voilà deux heures que Combas va et vient dans l’atelier, qu’il répond ici et là aux questions de Ricardo sans jamais perdre le fil de ses propres pensées. Soucieux de bien faire découvrir quel est son territoire et comment il travaille, il aborde aussi bien les problèmes de techniques, matériaux à l’appui, que de contenu, toujours étayés par une argumentation solidement construite. S’il est un plasticien, Robert Combas est aussi quelqu’un de l’écriture. Il n’est que de l’écouter vous lire les titres rédigés de ses tableaux, enfin assis sur un canapé. De purs petits joyaux de parole brute et concise qui dit tout de sa vision sensible. Ainsi de la série des Méditerranéennes : « Grand-mères de Provence du Sud entier, grand-mères, mères des peuples mélangés. Celles qui rient, celles qui pleurent quand les pays se déchirent et tuent leurs maris, leurs petits, la vie. »

Biographie

1957
Naissance à Lyon.

1975
Entre à l’école des Beaux-Arts de Montpellier.

1979
Crée la revue Bato.

1980
S’installe en région parisienne.

1981
Ben Vautier parle de figuration libre pour qualifier le travail de Combas.

1984
Première grande exposition personnelle à l’ARCA de Marseille.

1993
Exposition au musée d’Art moderne de la Ville de Paris.

2008
Exposition « Qu’es Aco ? », 40 œuvres inédites présentées à la Fondation Vincent Van Gogh en Arles, jusqu’au 30 novembre.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°606 du 1 octobre 2008, avec le titre suivant : Robert Combas, la figuration envahissante

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