L’œil de Felix et Elizabeth Rohatyn

Des ambassadeurs au service de l’art

L'ŒIL

Le 1 octobre 2000 - 1233 mots

Des ambassadeurs qui ne ressemblent pas à des ambassadeurs et sont pourtant de grands ambassadeurs ? Cela existe et on peut les rencontrer à Paris et en province depuis trois ans. Ils s’appellent Felix et Elizabeth Rohatyn, représentent les États-Unis en France et s’intéressent passionnément à l’éducation, la culture et à l’art sous toutes ses formes.

Felix Rohatyn a 72 ans. Il est né en Autriche puis, fuyant avec sa famille les persécutions nazies, vit en France. Installé aux États-Unis en 1942, il est devenu l’un des puissants associés de la banque d’affaire Lazard Frères and Company. Quant à Elizabeth, avant son départ pour Paris, elle était présidente du Board of Trustees de la New York Public Library où, avec son charme et sa forte personnalité, elle a su révolutionner la prestigieuse institution et y réinventer le mécénat. Tous deux, très proches des Clinton, sont devenus en quelques mois des personnages incontournables de la vie intellectuelle parisienne. Aussi le couple s’est-il lancé avec Françoise Cachin, Directeur des Musées de France, dans un très beau projet, celui de FRAME (French Regional & American Museums Exchange) qui tient ses deuxièmes assises du 11 au 15 octobre à Saint-Louis (Missouri) après celles de Lyon en 1999.

Pourquoi avez-vous choisi de présenter des œuvres contemporaines américaines dans les salons de votre résidence parisienne ?
Nous avions remarqué leur quasi absence dans les musées français. Il nous a donc paru important d’en montrer. Avec l’aide de Jeanne Greenberg, belle-fille de Félix et galeriste new-yorkaise, nous avons fait venir des États-Unis une vingtaine d’œuvres représentatives du XXe siècle.

Comment s’est effectué votre choix ?
Nous avons voulu choisir des artistes américains ayant vécu ou travaillé en France, d’origine française comme Louise Bourgeois ou ayant été profondément influencés par l’art français. Ainsi nous présentons des œuvres d’Edward Hopper, Ellsworth Kelly, Roy Lichtenstein, Brice Marden, Mark Rothko, Cindy Sherman... Mais il faut préciser que ces pièces ont été mises à notre disposition par des institutions et galeries américaines pour une période de trois ans.

Quelle œuvre préférez-vous, Monsieur l’Ambassadeur ?
En tant qu’ambassadeur, je ne peux trouver plus symbolique que le Drapeau américain de Jasper Johns. D’autre part, ce tableau nous a été prêté par le fils de l’un de mes plus vieux amis qui était Leo Castelli. À Paris, nos familles étaient très liées. Pendant la guerre, ils sont partis pour Cuba et nous pour l’Amérique du Sud. Finalement, nous nous sommes retrouvés à New York où Leo est devenu le marchand que l’on sait. C’était un homme d’une très grande élégance. Toutefois je reconnais ne pas très bien comprendre l’art contemporain.

Avez-vous une collection personnelle ?
Nous avons accroché nos propres tableaux, des Hubert Robert, Bonnard, Vuillard, Monet, Canaletto, dans l’appartement privé de la résidence.

Votre passion partagée pour la culture et l’éducation vous a amené à créer FRAME. De quoi s’agit-il ?
FRAME met en relation neuf musées régionaux français et neuf musées américains, respectivement choisis par Françoise Cachin et Richard Bretell, ancien directeur du Dallas Museum of Art et président de la Sara Lee Foundation. Les musées français concernés sont ceux de Bordeaux, Grenoble, Strasbourg, Lille, Lyon, Rennes, Rouen, le Musée Fabre de Montpellier et le Musée des Augustins de Toulouse. Les musées américains sont ceux de Cleveland, Dallas, Portland, Saint-Louis, Minneapolis, San Francisco, le Virginia Museum of Fine Arts (Richmond), le Sterling & Francine Clark Institute (Massachusetts) et la Yale University Art Gallery (Connecticut). À eux tous, ils possèdent plus d’un million et demi d’objets d’art.

Pourquoi avoir créé FRAME ?
Nous nous sommes aperçus que les touristes américains ne connaissaient généralement que les musées parisiens et les Français les seules institutions new-yorkaises et de Washington. Nous avons donc voulu montrer qu’il existait, hors des grandes métropoles, des musées d’une très grande richesse.

Allez-vous vous limiter à 18 musées ?
L’action culturelle reste plus efficace avec un nombre restreint d’institutions. Par la suite nous verrons.

Quelle politique suit FRAME ?
Notre but est tout d’abord de permettre l’échange d’expériences entre responsables de ces 18 musées. D’où des rencontres, dont la première a eu lieu à Lyon en octobre dernier. Depuis d’autres ont suivi. Ce mois-ci nous nous retrouvons à Saint-Louis. Les conservateurs vont échanger leurs expériences professionnelles et personnelles (administration, conservation, marketing, mécénat...), réfléchir à la mise en place d’échanges scientifiques et culturels, sans parler de la politique liée à l’éducation.

Les rencontres tiennent donc une part importante dans le programme de FRAME ?
Il est tout aussi intéressant de développer les individualités de chacun que de poursuivre une politique commune. FRAME envisage d’ailleurs de créer un site Internet commun, permettant entre autres de montrer des expositions virtuelles ou des œuvres trop fragiles pour voyager.

Avez-vous des projets d’expositions ?
Nous envisageons bien sûr des échanges temporaires d’œuvres, des prêts entre musées et une politique de coproduction d’expositions. FRAME prévoit également de « rassembler » des œuvres, les collections étant parfois très complémentaires. Ainsi les musées de Lille, Minneapolis et le Clark Art Institute vont reconstituer le triptyque d’un peintre flamand anonyme du XVe siècle, le Maître du Feuillage en broderie, dont chacun possède un élément, pour le présenter temporairement et dans son intégralité en 2003 dans chacun des musées concernés.

Et des expositions de plus grande envergure ?
Leur montage est plus long. Mais à partir de l’automne 2001, les musées de Bordeaux, Rennes et Montpellier montreront lors de l’exposition « Peintures américaines (1900-1940) » une soixantaine d’œuvres majeures prêtées par les musées américains. Puis, l’année suivante, nous organisons « Symboles sacrés : 2000 ans d’art indien de l’Amérique du Nord » à Rouen, Montpellier, Rennes et Bordeaux. En 2003, une exposition sur le néoclassicisme permettra au public américain de découvrir une école souvent absente de leurs musées bien qu’enseignée dans toutes leurs universités.
Et nous avons encore beaucoup d’autres projets.

Quel est le financement de FRAME ?
Tout d’abord, FRAME se fait en association avec la Foundation for French museums (FFm) présidée par Michel David-Weill (L’Œil n°513). D’autre part, diverses fondations comme des entreprises françaises et américaines sont intéressées par nos projets. Ainsi la Florence Gould Fondation nous a fait un don important sur trois ans. La Sara Lee Foundation, dirigée par Richard Bretell, nous aide aussi.

Le montant de votre budget ?
Il s’élève, pour trois ans et en comptant tous les frais, à 2,6 M$.

Et la Felix and Elizabeth Rohatyn Foundation participe personnellement à ce projet ?
Bien entendu.

Quelle différence faites-vous entre les musées français et américains ?
Aux États-Unis, à la différence de la France, l’État joue un rôle réduit dans les institutions culturelles.
Nos musées, généralement privés ou universitaires, sont donc financés par le secteur privé. Celui-ci en tire des avantages financiers certains et intervient également dans les décisions prises. Nos entreprises ont donc un rôle social plus large, elles participent à la vie culturelle de la société. Cette politique ne serait applicable en France que si elle présentait les mêmes avantages fiscaux. Mais le financement privé doit s’accompagner de prises de décisions communes. Ce sont en fait des décisions d’hommes, de personnalités, d’individualités mais aussi de responsables culturels, politiques, d’entreprises, chacun y trouvant son avantage.

Que pensez-vous de la globalisation dans le secteur culturel ?
La globalisation ne tue pas. Elle diversifie la culture et facilite les échanges. L’outil Internet, qui est au centre du système de FRAME, en est un exemple.

Et quels sont vos musées parisiens préférés ?
La Fondation Dina Vierny, le Musée Jacquemart-André, le Centre Pompidou et beaucoup d’autres encore...

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°520 du 1 octobre 2000, avec le titre suivant : L’œil de Felix et Elizabeth Rohatyn

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque