Mondrian, apôtre de l’abstraction géométrique

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 26 février 2008 - 787 mots

Quoique bousculée par les tumultes et les heurts du monde, la vie de Piet Mondrian (1872-1944) apparaît comme une odyssée logique et cohérente. Retour sur une épopée homérique des plus singulières qui a mené à l’art abstrait.

Du rouge, du jaune et du bleu savamment disposés sur une toile traversée d’un rigoureux maillage noir : l’exceptionnelle fortune de cette innovation plastique a longtemps contrevenu à l’intérêt biographique que pouvait et devait susciter la vie de son auteur. C’est certes là le privilège ambivalent des génies que de laisser des œuvres indélébiles éclipsant les conditions qui les virent naître. Or, derrière l’art, l’histoire de l’art ; avant le musée, l’atelier ; sous le sanctuaire, la vie. Et la vie de l’un des pionniers de la modernité qui, à force de peintures tonitruantes, érigea la discrétion en modèle absolu.

À ses débuts, l’artiste peint fleurs, arbres et moulins
De son vrai nom Pieter Cornelis Mondriaan, Mondrian naît en 1872 à Amersfoort, aux Pays-Bas, dans une famille au calvinisme rigoureux. Mais si l’obéissance est une règle, la vocation en est une autre. En témoigne l’intransigeance d’un père instituteur qui, après l’avoir exhorté à enseigner, cède devant ce fils au talent artistique évident et qui, malgré le conflit, semble disposé à l’entente cordiale. En atteste le diplôme d’État de professeur de dessin que Piet parvient à obtenir afin d’atténuer la désapprobation paternelle. En 1892, âgé de vingt ans, Piet Mondrian rejoint l’Académie des beaux-arts d’Amsterdam. Entre la bohème désargentée et l’officialité normative, le jeune artiste commence un exercice périlleux de funambule où les leçons particulières pour la « bourgeoise » alternent avec les balades champêtres, les cours du soir avec les consultations chez le médecin monnayées à défaut... contre un tableau.
Bien que la précocité ne soit pas rémunératrice, Piet Mondrian persévère en explorant la campagne hollandaise. Fleurs, arbres et moulins témoignent de l’influence de la théosophie et du symbolisme quand, pour sonder le mystère ineffable de la nature, il sature les couleurs sous l’influence de son ami Jan Toorop, rencontré en 1907.

À Paris, Piet Mondrian s’imprègne des avant-gardes
Bleus électriques et oranges violents, jaunes solaires et violets crépusculaires : Mondrian exacerbe le dramatisme d’une couleur qui semble désavouer la sagesse des sujets. L’homme, lui, est à l’image de l’artiste, oscillant entre une exposition retentissante au Stedelijk Museum en 1909 et… des leçons de yoga. L’art et l’esprit constituent le diptyque invariant d’une
vie et d’une création enclines à dématérialiser le tangible... en donnant corps à l’abstraction.
En 1912, Mondrian a quarante ans. Comme si chaque décennie devait sonner un glas et un renouveau, Mondriaan devient Mondrian et s’installe à Paris où il digère le divisionnisme comme le cubisme. Du haut d’une solitude intransigeante, il invente bientôt une alchimie sans pareil, faisant de la Vérité et de l’Essence des maîtres mots absolus.
« Piet l’invisible » entend dépasser le visible. La guerre, qui le surprend lors d’un séjour hollandais, n’arrête pas ses recherches radicales destinées à transfigurer la réalité. Sous l’impulsion de son ami Theo Van Doesburg et de la revue De Stijl, il analyse les rapports harmoniques entre lignes, couleurs, proportions et rythme. L’artiste se veut magicien, médiateur du Grand Tout. Le « néoplasticisme » est son évangile, la juxtaposition des seules couleurs primaires, sa catéchèse.
Revenu à Paris en 1919, le Batave décline pendant vingt ans une œuvre cardinale qui en fait le prophète incontesté de la modernité abstraite. Cercle et carré en 1930, Abstraction-Création en 1931 : les chapelles qu’il anime sont polysémiques, mais Mondrian y dit la même langue fanatique, parfois autoritaire, toujours avant-gardiste.
En 1938, c’est encore la guerre qui le soustrait à Paris pour un exil londonien de deux ans. Et si Mondrian s’exile, son nom s’exporte. Jusqu’aux États-Unis, qu’il gagne en 1940. Pour la première fois, le dénuement de la toile ne fait plus écho à celui de sa vie. Il va même jusqu’à reprendre des peintures de sa période « tragique » pour leur administrer de la joyeuseté américaine. Ainsi le jazz, qui irrigue l’œuvre d’un Mondrian qui, au seuil d’une vie recluse et spirituelle, compte des fidèles dans le monde entier. Piet, l’icône, enfin. Piet, qui meurt en 1944 en laissant une toile inachevée au nom étrangement swing : Victory Boogie Woogie...
Mondrian l’ascète eût-il finalement préféré à un austère magnificat un gospel espiègle ?

Biographie

1872
Naissance à Amersfoort (Pays-Bas).

1892-1895
Il étudie à l’Académie des beaux-arts d’Amsterdam.

1912
Piet Mondrian s’installe à Paris.

1914
Influencé par le cubisme, il passe progressivement à l’abstraction.

1919
De retour à Paris, il met au point son système de lignes noires.

1922 Première rétrospective de son œuvre au Stedelijk Museum d’Amsterdam.

1940
Fuyant les bombardements, Mondrian quitte Londres pour New York.

1944
Mondrian décède d’une pneumonie.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°600 du 1 mars 2008, avec le titre suivant : Mondrian, apôtre de l’abstraction géométrique

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