Art moderne

L’école de Pont-Aven, une aventure hors du commun

Par Guillaume Morel · L'ŒIL

Le 1 avril 2003 - 1062 mots

À partir de 1860, nombre de peintres, dont beaucoup d’Anglo-Saxons, fréquentent en été le village de Pont-Aven.

La Bretagne suscite alors un grand engouement chez des artistes qui veulent peindre sur le motif et qui sont à la recherche d’un certain exotisme. En guise d’introduction, la première salle de cette exposition montre qu’avant la période dite « de Pont-Aven », il y a déjà une forte tradition du modèle dans la peinture en Bretagne et un goût prononcé pour le pittoresque.

Six grands tableaux de Picknell, Bouguereau, Mosler, Dameron... des années 1866-1886 montrent les ruptures de style et l’importance dominante du sujet. L’histoire de l’école de Pont-Aven, que l’ont fait souvent débuter, à tort, avec l’arrivée de Gauguin, commence en fait bien plus tôt. Lorsque ce dernier arrive à Pont-Aven en 1886, près d’une centaine d’artistes y séjournent déjà, temporairement ou non, dans de modestes auberges pour les moins fortunés et des hôtels luxueux pour d’autres. C’est sans un sou, à son retour du Danemark, que Gauguin débarque là-bas pour la première fois, sachant que la vie n’est pas chère, qu’il pourra se loger à crédit et trouver des modèles sans difficulté. Ce sont les seules motivations de sa venue. Très vite, il se lie avec Charles Laval et Henri Delavallée et rencontre d’autres artistes à l’auberge Gloanec. Les années 1886-1887 sont, chez Gauguin, marquées par l’impressionnisme de Pissarro et les recherches de Degas. Dès 1887, avec La Baignade, on devine ses premiers pas vers le symbolisme et l’évolution est nette à partir de 1888.

Cette année-là, Gauguin revient une seconde fois dans le village, après un séjour à Panama et à la Martinique, et c’est là qu’il apprend véritablement à apprécier la Bretagne, pour l’authenticité, le côté sauvage et primitif, la beauté des paysages. Ce qui se passe là-bas, très vite connu de tous, a un retentissement immédiat. En 1888, Gauguin rencontre Émile Bernard (marqué par les estampes japonaises, il peint à cette période Le Marché à Pont-Aven) et met au point avec lui la technique du synthétisme, qui caractérisera les œuvres les plus abouties des deux artistes. Les couleurs sont utilisées en aplats juxtaposés, entourées de cernes, dans des compositions où le contenu et la forme sont en osmose, délaissant les règles traditionnelles de la perspective et dépassant les limites du bord du tableau par des points de vue et des cadrages nouveaux. À son ami Schuffeneker, Gauguin écrit alors : « Ne copiez pas trop d’après nature. L’art est une abstraction ; tirez-la de la nature en rêvant devant elle et pensez plus à la création qu’au résultat » (lettre du 14 août 1888). Le groupe s’élargit avec Henri Moret et Ernest Chamaillard, puis les recherches du synthétisme intéressent toute la jeune génération, dont le premier à être touché est Paul Sérusier, qui prendra sa célèbre « leçon de peinture » avec Gauguin dans le bois d’Amour. Il peint sur le motif un petit paysage d’automne, Le Talisman, suivant les directives de Gauguin qui lui dit : « Comment voyez-vous ces arbres ? [...] Ils sont jaunes, eh bien ! mettez du jaune ; cette ombre plutôt bleue, peignez-la avec de l’outremer pur ; ces feuilles rouges ? Mettez du vermillon. » Lacombe et Denis seront directement influencés par cette nouvelle esthétique fondée sur la construction par la couleur, la simplification et l’harmonie, qui sera capitale dans la genèse de l’art des Nabis. Denis commence à théoriser les recherches des artistes de Pont-Aven dès 1890. Gauguin y séjourne plus longuement en 1889 et en 1890. Voulant fuir la foule du village et son incessante effervescence, il s’isole dans d’autres coins dela région, au bord de la mer et notamment au Pouldu. Il veut être tranquille et peindre simplement, loin de toute agitation. Les sujets campagnards se démodent et les artistes vont davantage peindre les ports (Concarneau), les côtes, les îles... À Pont-Aven, Gauguin peint avec Meyer de Haan le décor de la salle à manger de l’auberge Marie Henry où ils résident. De 1891 à 1893, Gauguin est parti, il est à Tahiti, mais le va-et-vient des artistes continue à Pont-Aven, avec Seguin, Bernard, le très mystique Filiger, l’Irlandais O’Conor, le Suisse Amiet, le Hollandais Verkade.

Ils produisent beaucoup de gravures et de dessins. Gauguin revient pour la dernière fois à Pont-Aven en 1894, afin de récupérer des œuvres qu’il avait laissées en gage. Le séjour se passe mal et l’artiste ne reviendra plus en Bretagne. L’exposition évoque son dernier passage, où il produit des gravures et, entre autres, Ferme en Bretagne, un tableau aux couleurs vives baignées par les lumières de Tahiti.
Il n’y avait encore jamais eu d’exposition d’envergure sur l’école de Pont-Aven en France. Celle-ci, conçue par André Cariou, conservateur du musée des Beaux-Arts de Quimper où l’exposition sera présentée cet été, avec six œuvres supplémentaires, s’attache à rendre compte de la complexité de ce foyer artistique à la croisée de plusieurs influences, l’impressionnisme, le pointillisme et le symbolisme, et qui a rassemblé cent cinquante artistes dans un petit village breton de mille habitants, aujourd’hui connu dans le monde entier. Autour d’une trentaine de peintures, dessins, gravures et sculptures de Gauguin, elle propose un tour d’horizon de tous ceux qui ont, de près ou de loin – car certains n’ont fait que passer –, écrit l’histoire de cette période. Émile Bernard est particulièrement présent, avec onze peintures, un carnet de dessins jamais montré au public, un paravent et un meuble qu’il a sculpté avec Gauguin, mais le parcours fait aussi la part belle au paysagiste Maxime Maufra (Les Trois falaises), à Henri Moret, Claude-Émile Schuffenecker, Georges Lacombe ou Charles Laval, compagnon de voyage de Gauguin à la Martinique, qui a peu produit. Les œuvres tardives de Sérusier, Jourdan, O’Conor, Filiger, réalisées sur place dans les années 1910-1920 et présentées dans la dernière section, montrent que certains artistes ont continué après le départ définitif de Gauguin à poursuivre ses recherches, tandis que d’autres reviennent à un certain impressionnisme avec des œuvres moins innovantes. Derniers du groupe à rester à Pont-Aven, ils transmettront leur expérience à de jeunes peintres curieux de cette aventure humaine et artistique unique, fondamentale dans l’avènement de l’art moderne.

PARIS, Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard, VIe, tél. 01 42 34 25 95, www.museeduluxembourg.fr, 2 avril-22 juin.

QUIMPER, Musée des Beaux-Arts, 40 place Saint-Corentin, tél. 02 98 95 45 20, 12 juillet-30 septembre.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°546 du 1 avril 2003, avec le titre suivant : L’école de Pont-Aven, une aventure hors du commun

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