Architecture

L’architecture de musée : du temple des muses au bâtiment démocratique

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 1 janvier 2005 - 918 mots

En un demi-siècle, l’architecture du musée a sans conteste fait sa révolution. À partir d’une typologie traditionnelle héritée du XVIIIe siècle, l’ancien « temple des muses » s’est mué en bâtiment démocratique, à l’architecture tantôt dévouée à son objet, tantôt cherchant à s’affirmer comme une œuvre à part entière dans la cité.

Durant l’accalmie de l’après-guerre, dans les années 1950, les architectes du Mouvement moderne, hostiles à l’héritage culturel et donc à la tradition académique du palais des beaux-arts, vont enfin pouvoir concrétiser leurs réflexions sur une architecture muséale qu’ils entendent renouveler.
Alors que l’année 1945 avait vu s’ériger le dernier avatar de musée néoclassique sous l’équerre de John Russell Pope – la National Gallery de Washington –, Frank Lloyd Wright, Le Corbusier ou encore, avec une inclination différente, Ludwig Mies Van der Rohe, vont parvenir à mettre en œuvre des
formules innovantes, souvent élaborées durant l’interbellum. Les deux premiers s’attachent ainsi à produire une nouvelle spatialité grâce à l’adoption d’un plan en spirale propice à la déambulation, mais imposent au visiteur un parcours rigide. Ils conçoivent le musée tel un espace sacré, isolé de son environnement par son opacité et sa forme architecturale introvertie. Mies Van der Rohe, quant à lui, s’oppose à ce principe et opte pour un espace polyvalent et modulable, entièrement ouvert sur son environnement, renouant avec une certaine monumentalité. L’histoire semble lui avoir donné raison : plus de dix années après, le Centre Pompidou reprend cette idée, avec toute l’exubérance high-tech des années 1970.
Ainsi, alors que cette génération d’architectes qui fit l’avant-garde du siècle s’éteint à la fin des années 1960, l’architecture du musée a mué dans sa forme mais aucun modèle ne s’est imposé. Certaines évolutions sont toutefois perceptibles : le musée est ainsi désormais conçu comme un lieu accessible à un public élargi, et non plus réservé à l’élite. En 1975, l’Icom (International council of museums) apporte un élément de clarification en définissant ses contours, sous la plume de Georges-Henri Rivière : « Le musée est une institution permanente, sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public, et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de l’homme et de son environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les communique et, notamment, les expose à des fins d’études, d’éducation et de délectation. » La formule donne ainsi les clefs du programme architectural, chargé de conjuguer ces fonctions de rassemblement, de conservation et de diffusion des œuvres, au sein d’un même édifice. Elle entérine aussi la diversification des thématiques, qui tiendra de la frénésie à partir des années 1980. L’objet « muséographiable » se diversifie alors radicalement, justifiant la création de musées de société, de musées de site, d’écomusées, de musées de sciences, ou encore de musées de la carte à jouer... chacun relevant de préoccupations architecturales différentes. L’époque est aussi celle de la place nouvelle accordée au public, toujours plus nombreux, qui doit être accueilli et guidé grâce à des aménagement spécifiques.
Parallèlement, les activités à l’intérieur de l’enceinte du musée s’accroissent. Lieu précurseur en la matière, le Centre Pompidou abrite ainsi sous un même toit le Musée national d’art moderne, mais aussi une bibliothèque, un cinéma, des boutiques et des restaurants. Jadis isolé dans la cité, le musée est désormais conçu comme le poumon d’un véritable centre de consommation – plus ou moins culturelle – obligeant à la cohabitation de typologies architecturales différentes.
Et les musées anciens qui n’offrent pas ces possibilités d’aménagement sont remodelés ou agrandis, comme en témoignent les travaux du Grand Louvre, et la réalisation d’un véritable centre commercial attenant aux nouveaux espaces d’accueil du musée. Cette tendance s’intensifie au cours des années 1990, décennie frénétique de construction muséale. Longtemps sacralisée, l’institution entre alors dans l’ère de la communication, et se mue en nouveau média pour les maîtres d’ouvrage, qu’ils soient publics ou privés.
En France, la construction ou la modernisation d’un musée demeure le « fait du prince ». Mais la valeur ajoutée d’un lieu culturel, singularisé dans la ville par son architecture, est désormais convoitée sans ambages. Le musée Guggenheim de Bilbao n’a-t-il pas converti l’image d’une ancienne cité industrielle en lieu phare de l’art contemporain ?
Malgré ces évolutions, la construction du musée, programme de prestige pour l’architecte, relève encore de la gestion de contraintes immuables, telles que la définition d’une spatialité – simple ou complexe, libre ou imposée – ou le choix d’un éclairage – naturel ou artificiel, zénithal ou latéral...
Les mêmes questionnements animent toujours les maîtres d’œuvre. L’architecture du musée doit-elle être assujettie à l’objet présenté, ou s’affirmer en devenant une œuvre à part entière ? S’agit-il de créer un monument ou un hangar neutre ? Le musée doit-il s’ouvrir vers son environnement ou demeurer un lieu sacré et introverti ? Autant de préoccupations auxquelles les architectes apportent des réponses différenciées.
Cependant, l’inflation muséale de cette dernière décennie pourrait avoir des conséquences plus importantes qu’il n’y paraît, quant à la définition même de l’institution et de son architecture. Désormais il faut assumer concrètement l’accroissement des collections, les espaces dévolus au
stockage prenant progressivement le pas sur l’exposition.
À tel point qu’un nouveau type architectural est né, occultant volontairement l’un des critères de l’Icom, celui de la présentation au public. En 2003, la fondation bâloise Emanuel Hoffmann prenait en effet une décision lourde de sens.
Voulant éviter de créer un énième musée, ses dirigeants souhaitaient pouvoir stocker les œuvres autrement que dans des caisses. Ils ont alors inventé le Schaulager ou « entrepôt visitable »37, dans lequel les œuvres sont accrochées de manière optimale dans des chambre-réserves, mais uniquement accessibles aux chercheurs. Trop de musées auraient-ils tué le musée ?

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°565 du 1 janvier 2005, avec le titre suivant : L’architecture de musée : du temple des muses au bâtiment démocratique

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