Guggenheim : hauts et bas d’une politique de marketing

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 septembre 2005 - 1023 mots

À ses origines, le musée Guggenheim devait être un temple de l’esprit, selon la formule de Solomon R. Guggenheim. Depuis plus d’une décennie, il a plutôt voué un culte au Veau d’or, et la stratégie marketing de son directeur Thomas Krens suscite des réactions épidermiques.

Le musée Guggenheim a tracé la voie du capitalisme à la sauce institutionnelle. Comme toute entreprise, le Guggenheim vise à acquérir des lieux d’exportation pour ses propres produits – sa collection –, et son savoir-faire. Sa politique d’essaimage ressemble d’ailleurs à s’y méprendre à celle d’une multinationale : soit elle se développe, soit elle disparaît.

Tout commence en 1988 lorsque Thomas Krens (ill. 10), doté d’un MBA de management de l’université de Yale, prend les rênes de l’établissement. Pour financer le coûteux projet d’extension du musée avec l’ajout d’une tour de neuf étages et la création d’une antenne à Soho, tous deux inaugurés en 1992, cet homme à la carrure de titan a une idée de génie : s’allier avec des gouvernements étrangers pour créer des satellites auxquels l’institution new-yorkaise prêtera par roulement sa prestigieuse collection. Cette volonté d’internationalisation repose d’ailleurs sur un accident de départ. Lorsque le palais vénitien de Peggy Guggenheim (ill. 6) et son contenu ont été donnés à la fondation Guggenheim en vue d’être rapatrié à New York, la collection a été déclarée trésor national en Italie. Il a fallu donc administrer le lieu et son contenu à distance. « Nous nous sommes rendu compte que nous étions internationaux par définition », remarquait Thomas Krens lors d’un colloque sur l’avenir des musées en 2000.

Avec ce postulat, Krens a balayé l’idée des institutions locales, à échelle humaine pour jouer
la carte planétaire et le développement d’une marque « Guggenheim ». Qui dit marque dit identité. Le Guggenheim, c’est d’abord une collection centrée sur l’art moderne et minimal. C’est aussi une certaine idée de l’architecture spectacle (ill. 1, 14). Un fantasme qui ne peut que séduire le nouveau conseil d’administration du musée, composé de magnats de l’immobilier new-yorkais. Interrogé, le Guggenheim récuse toute appellation marketing. « Le Guggenheim n’est pas une marque mais une fondation avec une mission », esquive Anthony Calnek, porte-parole du musée. Nonobstant ces subtilités sémantiques, l’idée est de créer des franchises, financées à 100 % par les autorités locales. Celles-ci injecteraient des liquidités au Guggenheim – moins importantes toutefois que les donations des trustees – et renforceraient sa notoriété sans lui coûter un penny. « Ces musées ne sont pas des franchises, module Anthony Calnek. Le mot franchise implique un modèle de business dans lequel le musée serait entièrement reproduit dans le monde. Tout nouveau musée Guggenheim est une vraie collaboration, totalement différente dans son architecture et son objectif curatorial des autres musées de la constellation Guggenheim. »

Le paquebot argenté de Bilbao
La première excroissance, dessinée par l’architecte Frank Gehry et inaugurée à Bilbao en 1997 (ill. 14), est un franc succès. Depuis son ouverture, ce grand paquebot argenté a attiré plus de 900 000 visiteurs et inscrit la ville basque sur la carte de l’art contemporain. Mais Bilbao cache des projets escamotés. Le musée troglodytique imaginé à Salzbourg s’est perdu dans les limbes après plusieurs mois de pourparlers. Idem pour les dossiers du MassMoca au Massachusetts, à Tokyo et Osaka. Dernière velléité en date, l’implantation d’un Guggenheim à Rio de Janeiro, ancrant la marque dans l’hémisphère Sud, a finalement été avortée. Outre le palais vénitien de Peggy Guggenheim, le Guggenheim ne compte aujourd’hui qu’une antenne à Berlin (ill. 12) et une bouture à Las Vegas (ill. 13), cogéré avec l’Ermitage de Saint-Pétersbourg.

La folie des grandeurs serait-elle grippée ? Le Guggenheim traverse une mauvaise passe depuis les attentats de 2001. Il a dû fermer son antenne de Soho et l’un de ses deux satellites à Las Vegas. Également remisés le projet d’ériger un bâtiment du style Gehry-Bilbao à Manhattan, ou la création d’un espace d’art contemporain à Punta della Dogana à Venise. Même si de nombreuses municipalités continuent de militer pour la création d’antennes Guggenheim, de tels projets suscitent la méfiance des institutions locales. Alors que certains plaident pour des rénovations d’urgence, leurs municipalités préfèrent consacrer des sommes importantes à des musées étrangers en espérant des retours sur investissement. La grogne s’était aussi manifestée au sein de l’ancien conseil d’administration. Pourtant rien ne semble arrêter les ambitions de Krens, qui brigue une implantation en Amérique latine et en Asie. Son staff étudie actuellement des possibilités de greffes à Guadalajara, au Mexique, à Hong Kong et à Singapour.

Le Guggenheim semble toutefois négliger une donnée essentielle du marketing, celle de gérer à long terme la réputation de sa marque. Si le musée souche ne soigne pas son image, peut-il espérer s’imposer à l’étranger ? Or la réputation du Guggenheim de New York a été ébranlée par les coupes drastiques effectuées dans le personnel, le choix douteux de certaines expositions comme « L’Art et la Moto » (ill. 11) ou « Giorgio Armani », et le départ avec pertes et fracas de Peter Lewis, l’un des plus généreux trustees de la maison. Malgré les couacs, l’idée de Krens fait toutefois des petits. Pour preuve l’implantation d’une antenne du musée du Louvre à Lens et d’un satellite du Centre Pompidou à Metz. Ces deux institutions caressent d’ailleurs le projet d’un enracinement à Hong Kong. On peut donc imaginer à long terme le développement de chaînes de musées sur le modèle des hôtels de luxe. « En raison de cette attention portée au confort et au bien-être du visiteur, de ce désir de le séduire… le musée ressemble de plus en plus à n’importe quelle autre structure d’accueil (c’est un hôtel 5 étoiles sans chambres et avec moins d’ascenseurs) », écrivaient Guido Guerzoni et Gabriele Troilo dans les annales du colloque sur l’avenir des musées en 2000. Est-ce le type d’institution dont rêvent les amateurs d’art ?

A voir

« Art of Tomorrow : Hilla Rebay and Solomon R. Guggenheim », première grande exposition sur Hilla Rebay, une des fondatrices et première directrice du musée Guggenheim. Schlossmuseum de Murnau (tél. 00 49 8841 476 207, www.schlossmuseum-murnau.de) et Museum Villa Stuck de Munich (tél. 00 49 894 55 55 10, www.villastuck.de), 8 septembre-15 janvier 2006 ; puis au Deutsch Guggenheim de Berlin (tél. 00 49 30 20 20 930, www.deutsche-guggenheim-berlin.de), 4 mai 2006-30 juillet 2006. www.guggenheim.org

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°572 du 1 septembre 2005, avec le titre suivant : Guggenheim : hauts et bas d’une politique de marketing

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