Biennale

La vision du monde en demi-teinte de Robert Storr

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 28 août 2007 - 678 mots

Pour cette 52e édition, le premier commissaire américain de l’histoire de la Biennale signe deux expos classiques et morales d’où émergent quelques trop rares pépites.

« Penser avec les sens. Sentir avec l’esprit. L’art au présent ». Le titre programmatique de Robert Storr, ancien conservateur du MoMA new-yorkais et professeur émérite, laissait présager une plongée bien plus expérimentale, sensible et phénoménologique que celle concoctée entre l’Arsenal et le pavillon italien converti en antenne internationale dans les jardins.
Storr y convie le public pour lui asséner un réalisme artistique assez convenu : oui, l’artiste vit dans notre monde de conflits guerriers, de pollution et de mort. Pourquoi pas ? Mais ici, l’art ne livre pas bataille mais se borne le plus souvent à constater. Comme le fait l’exposition qui n’interroge pas la légitimité et l’incidence de l’artiste au sein d’enjeux géopolitiques et environnementaux. Et Robert Storr d’enchaîner les salles monographiques sans le talent et le goût sensible des œuvres pour lesquels il était réputé.

Des questions sans réponses
À l’accrochage triste et aux dialogues trop peu nombreux s’ajoute un sentiment cynique : l’art décrypte, analyse (trop rarement ici), dénonce facilement, déculpabilisant un spectateur ainsi bien informé. Cela est-il suffisant pour en faire de l’art politique ? L’exposition ne répond pas à la question, ou plutôt si, mais par défaut : se mesurer au conflit ne fait pas d’une œuvre un acte politique. Et tout est ici clean malgré la violence de certaines images comme celles de l’Israélien Tomer Ganihar, montrant des mannequins chirurgicaux simulant des blessures d’attentat très réalistes.
Les questions des appartenances nationales et culturelles comme celles liées au déracinement ne trouvent pas de réponses plus fines. Bien sûr, ça et là, au fil des salles, le visiteur tombe sur des pépites, découvre des noms rares, reste pantois devant certaines productions. Si le terrain est balisé côté name-dropping (des listes de noms célèbres), heureusement la découverte de pièces inédites à l’instar du tout dernier film du Britannique Steve McQueen sur des orpailleurs congolais ou de posters de Jenny Holzer, composés à partir d’interrogatoires de prisonniers de Guantanamo, arrêtent le visiteur. Ces œuvres émergent d’un pavillon italien saturé et littéral où le visiteur aura eu peu de répit face à un tir nourri de bonnes intentions.
De son côté, l’Arsenal affiche une tonitruante entrée en matière avec un Christ sur maquette d’avion de chasse – La Civilisation et le Christianisme, sculpture de 1965 ! – de l’Argentin León Ferrari (né en 1920). Transporté par l’humour (et il est rare dans cette exposition) de Nedko Solakov, auteur d’une petite histoire du fusil-mitrailleur AK 47, on est d’autant plus navré de la naïveté des dessins de soldats américains d’Emily Prince et de la vidéo de Paolo Canevari. L’Italien a filmé un jeune garçon dribblant et jonglant avec un crâne devant le Q.G. de l’armée serbe à Belgrade. Et après ?

Belle représentation française
Toutes les prestations ne sont heureusement pas aussi linéaires. Les Français s’en sortent d’ailleurs plutôt bien, même si Abdessemed manipule toujours aussi lourdement les symboles. Mélik Ohanian explore la dictature chilienne et ses scories, Marine Hugonnier découpe les unes de quotidiens de langue arabe et y joue de formes abstraites et Tatiana Trouvé de déployer son univers menaçant et mutique. Ses petites salles closes, objets de tortures, prises de courant carbonisées, vestiges à échelle réduite d’une contrainte insupportable mais imprécise sont bien plus évocateurs que l’enfilade d’œuvres sans second degré alignées par Storr pour cette édition.

Pavillons (suite)

Israël : Yehudit Sasportas. Italie : Giuseppe Penone, Francesco Vezzoli. Japon : Masao Okabe. Lettonie : Gints Gabrans. Liban : Fouad Elkoury, Lamia Joreige, Walid Sadek, Mounira Al-Solh, Akram Zaatari. Lituanie : Nomeda & Gediminas Urbonas.Mexique : Rafael Lozano–Hemmer. Moldavie : Svetlana Ostapovici. Pays-Bas : Aernout Mik. Pologne : Monika Sosnowska. Portugal : Ângela Ferreira. République d’Azerbaïdjan : Tora Aghabeyova, Faig Ahmed, Rashad Alakbarov, Orkhan Aslanov, Chingiz Babayev, Rena Effendi, Ali Hasanov, Orkhan Huseynov, Elshan Ibrahimov, Tamilla Ibrahimova, Rauf Khalilov, Labirint Art Group. République populaire de Chine : Shen Yuan, Yin Xiuzhen, Kan Xuan, Cao Fei. République de Chypre : Haris Epaminonda, Mustafa Hulusi. République de Corée : Hyungkoo Lee.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°594 du 1 septembre 2007, avec le titre suivant : La vision du monde en demi-teinte de Robert Storr

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