Art contemporain

1965 : Le Prince de Hombourg par Fromanger, une œuvre mythique

En France, quel fait artistique marquant (exposition, artiste, œuvre…) retenez-vous depuis 1955 ?

Par Jean-Luc Chalumeau · L'ŒIL

Le 16 mars 2017 - 665 mots

Le 4 février 2001, une vente aux enchères organisée par les maisons Poulain-Le Fur et Robin Fattori à Paris fit sensation : elle marqua en effet le retour sur le devant de la scène, avec des enchères jamais vues jusque-là, des peintres de la Figuration narrative.

Parmi ces derniers, Gérard Fromanger se tailla la part du lion, à tel point que Le Journal des Arts consacra sa couverture à l’une des deux versions du Prince de Hombourg, qui avait atteint une cote exceptionnellement élevée pour l’époque. Commentaire de Jean-François Roudillon, galeriste et co-organisateur de la vente : « Ces artistes ont été marginalisés par les institutions et les critiques. Ils subissent aujourd’hui une sous-cote que rien ne justifie. Je les ai défendus en les exposant. Maintenant, je veux les défendre par des records de ventes. » Le Prince de Hombourg était déjà connu depuis sa réalisation en 1965 ; à partir de cette vente, il devint emblématique de toute une génération, celle née entre 1935 et 1945 – le Musée national d’histoire et d’art du grand-duché de Luxembourg ne s’y trompa pas, qui fit l’acquisition de l’autre version : Le Rouge et le Noir dans le Prince de Hombourg, 1965, série des Pétrifiés. Les deux tableaux de 200 x 250 cm accueillaient les visiteurs de la rétrospective Fromanger présentée par le Musée national d’art moderne-Centre Pompidou de février à mai 2016. Non sans raison : cette double représentation de Gérard Philipe apparaît désormais à beaucoup comme une des œuvres les plus significatives en France pour la période allant du milieu du XXe siècle à nos jours.

En 1955, Gérard Fromanger, âgé de 16 ans, avait peint deux élégantes variations, la première sur le cubisme de Braque, la seconde sur le monde de Picasso. Le très jeune peintre ne s’était pas contenté d’attraper les styles caractéristiques des deux maîtres, il avait aussi unifié les deux tableaux par l’apport très personnel de la couleur, sa couleur, lui qui devait les placer en 2011 au centre d’une exposition au Musée Estrine de Saint-Rémy-de-Provence sous le signe de l’écharpe d’Iris, la déesse de toutes les couleurs.

Dès le départ, le peintre Fromanger s’est montré capable de tutoyer les génies. Il continua à la fin des années 1950 et jusqu’au début des années 1960 en adoptant un style très proche de celui de Giacometti pour peindre des nus féminins qui enthousiasmèrent Aimé Maeght, alors le plus grand marchand du monde. Ce dernier se proposa de faire de Gérard rien moins que l’héritier de Giacometti. C’était un malentendu : Fromanger entendait se libérer de toute influence, et avait mis en chantier, dès 1964, la série des Pétrifiés, dont Le Prince de Hombourg serait la plus éclatante réussite (et l’occasion de la rupture avec Maeght qui n’y comprit rien).

Le peintre s’était emparé d’une photographie de Gérard Philipe, alors déjà disparu, interprétant le héros de la pièce de Kleist. Il l’avait traitée sur toile grâce à un épiscope en deux versions colorées. Idée de génie : il avait multiplié l’image du comédien flamboyant qui apparaissait cinq fois, produisant ainsi une impression de progression irrésistible. C’était bien l’annonce d’une peinture complètement nouvelle, qui allait fortement contribuer à balayer l’abstraction et à envoyer les diverses figurations allusives de l’École de Paris dans les poubelles de l’histoire. Qui plus est, Fromanger ayant été lui-même figurant dans la troupe du Théâtre national populaire de Jean Vilar, donnait avec son Prince de Hombourg un magnifique témoignage sur l’épopée du TNP, et l’on ne s’étonne pas qu’il soit devenu, par sa nostalgie fiévreuse, une œuvre véritablement mythique.

Critique d’art, né en 1939, Jean-Luc Chalumeau a dirigé de 1981 à 1995 la revue Opus international. Il est le fondateur et l’actuel directeur de la revue Verso arts et lettres. Anciennement maître de conférences à SciencesPo et à l’Ena, il enseigne aujourd’hui la lecture de l’histoire de l’art et l’histoire de l’art contemporain à l’Icart à Paris. Son dernier ouvrage, Les expositions capitales, a paru en 2013 aux éditions Klincksieck.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°700 du 1 avril 2017, avec le titre suivant : 1965 : Le <em>Prince de Hombourg</em> par Fromanger, une œuvre mythique

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