Ventes aux enchères

Guillaume Cerutti : « Le marché de l’art en France a enrayé son déclin »

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 18 octobre 2013 - 1007 mots

Le P.-D.G. de Sotheby’s France dresse un constat positif du marché de l’art en France. Mais, si Paris séduit les collectionneurs étrangers, « les acquis demeurent fragiles ».

Quelle est   la situation actuelle du marché de l’art en France ?
Guillaume Cerutti : Depuis quelques années, le marché de l’art en France a enrayé son déclin. Cela grâce à la conjonction de plusieurs facteurs : la qualité des événements organisés à Paris (la Fiac, Paris Photo, la Biennale des antiquaires, etc.), l’installation des maisons de ventes aux enchères internationales, dont Sotheby’s – il faut se souvenir que ces maisons ne peuvent vendre en France que depuis 2001 – et, dans la même période, une sorte de neutralité bienveillante des pouvoirs publics. Une loi de septembre 2011 a ainsi permis de compléter la libéralisation du marché français en permettant aux maisons de ventes de faire des ventes privées. Parallèlement à cette situation, les institutions culturelles ont maintenu leur rang ; tandis que de nombreux pays diminuaient leurs crédits à la culture, les grandes institutions françaises ont été dotées de moyens suffisants pour continuer à mener une politique de programmation attractive. Pour autant, ce constat positif dans l’ensemble cache des réalités plus contrastées d’un acteur du marché à l’autre et les acquis demeurent fragiles. Rien n’est plus mobile que les objets et les acteurs du marché de l’art. On l’a bien vu avec la polémique née l’an dernier sur la question de l’inclusion des œuvres d’art dans l’ISF.


Paris regagne-t-elle sa place au sein du marché de l’art mondial ?
Évidemment, la France n’est plus aux premières loges du marché international, mais elle parvient néanmoins à tirer son épingle du jeu. En dépit de la crise économique de 2009 et de l’émergence de nouveaux marchés, comme le marché asiatique, le marché de l’art en France a réussi à se maintenir, voire à progresser légèrement, comme en témoigne l’installation récente à Paris de grandes galeries étrangères. Et une entreprise comme Sotheby’s a décidé il y a quelques années de faire de Paris l’un de ses quatre lieux de vente principaux dans le monde, avec New York, Londres et Hongkong. Il fait sens pour nous d’être présents à Paris : la France a une histoire, une richesse en œuvres d’art, et Paris séduit les collectionneurs du monde entier.


Internet a-t-il participé à cette internationalisation de la place de Paris ?
Bien sûr. Où qu’il soit, un acheteur dispose désormais d’une information en provenance immédiate du monde entier. C’est à la fois un atout et un révélateur de l’extrême compétition qui règne sur ce marché, puisque les collectionneurs peuvent demain décider d’acheter à Londres ou à New York plutôt qu’à Paris. Contrairement à d’autres industries culturelles, Internet n’a pas détruit de valeur sur le marché de l’art, il en a au contraire ajouté. Aujourd’hui, Sotheby’s utilise Internet comme vecteur d’information pour ses clients et comme support technique des ventes physiques. 30 % des enchérisseurs de nos ventes s’inscrivent sur le Net. En revanche, contrairement à d’autres sociétés [comme Christie’s, ndlr], nous n’utilisons pas Internet pour des ventes purement online.


Quel est l’impact du climat fiscal actuel sur le marché ?
Tout ce qui à un moment donné crée un climat de défiance vis-à-vis des collectionneurs, soit par des menaces fiscales, soit par la stigmatisation des « possédants », fragilise à terme le marché de l’art français. Cela conduit les gens à partir, ou à être réticents quand il s’agit de confier leurs œuvres d’art à la vente. Ce qui se passe depuis un an n’est donc pas positif pour le marché, même s’il reste difficile d’en quantifier l’impact. D’autant que, dans le même temps, le ralentissement économique général en Europe a rendu les acheteurs plus sélectifs : le marché se polarise aujourd’hui sur les œuvres exceptionnelles qui sont toujours très demandées, au détriment du marché des œuvres intermédiaires qui, elles, souffrent.


La ministre Aurélie Filippetti a déclaré dans L’Œil qu’elle n’était pas certaine d’obtenir un arbitrage favorable au sujet de la baisse du taux de TVA. Quel est votre sentiment ?
Le projet de loi de finances, qui est la première étape, ne comporte malheureusement pas l’arbitrage que nous demandions. En l’état de ce projet, la TVA à l’importation des œuvres d’art serait portée à 10 %, une catastrophe pour la place de Paris. Il faut donc maintenant s’en remettre au débat qui aura lieu au Parlement. Nous devons pour cela obtenir le dépôt d’un amendement et le soutien du gouvernement. Lorsque j’écoute séparément les représentants du Parlement et du gouvernement, tous comprennent le danger pour le marché de l’art français de créer un différentiel fiscal aussi fort avec nos concurrents britanniques ou américains. Et chacun se dit prêt à jouer son rôle. Je reste donc optimiste, en espérant que cela ne sera pas, a posteriori, de la naïveté.


Ne faudrait-il pas faire plus de pédagogie autour du marché de l’art, synonyme pour certains de spéculation   ou de blanchiment d’argent ?

Vous mettez le doigt sur un point sensible : les acteurs du marché de l’art en France sont peu organisés et parlent rarement d’une même voix. Ils réagissent toujours dans l’instant et séparément à une situation donnée, mais jamais en conduisant ensemble un effort de pédagogie de longue durée. Une telle organisation est possible puisqu’elle existe chez nos voisins britanniques qui, plus pragmatiques que nous, ont compris qu’il valait mieux s’unir sur des sujets qui mettent tout le monde d’accord que de mettre en avant ses divergences. J’espère donc que le rapprochement opéré entre galeries, antiquaires et maisons de ventes à l’occasion du débat sur le taux de TVA des œuvres d’art à l’importation ne sera pas sans lendemain.


Quelle sera la prochaine grande vente de Sotheby’s France ?
Il y en a plusieurs ! Fin octobre, nous allons rouvrir notre galerie redessinée par Peter Marino avec la deuxième partie de la vente de la bibliothèque des ducs de Luynes. Et début 2014, l’événement sera la dispersion de la collection Art déco de Félix Marcilhac, estimée 8 à 12 millions d’euros.

Consulter la fiche biographique de Guillaume Cerutti

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°662 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : Guillaume Cerutti : « Le marché de l’art en France a enrayé son déclin »

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