Art ancien

Mercedes Erra : « Léonard de Vinci, ce n’est pas de la publicité, c’est de l’art »

Par Clotilde Bednarek · L'ŒIL

Le 26 septembre 2019 - 606 mots

Cofondatrice de l’agence BETC, Mercedes Erra est présidente exécutive de Havas Worldwide.

Mercedes Erra © Photo Vincent Desailly
Mercedes Erra
© Photo Vincent Desailly
Le « cas » Léonard de Vinci est-il un modèle publicitaire ?

Pour moi, Léonard de Vinci, ce n’est pas de la publicité, c’est de l’art. La publicité est faite pour vendre ; l’art, pour créer une émotion. Je ne suis pas sûre qu’au moment où il peignait, Vinci se disait que son tableau serait un jour accroché au Louvre et que tout le monde viendrait le voir.

Par la rareté de ses œuvres comme par le travail fait sur sa propre image, l’artiste n’a-t-il pas eu une approche « marketing » avant l’heure ?

Je n’aime pas le mot « marketing », je lui préfère « communication ». Léonard est un extraordinaire communiquant. Ce qui nous touche, le plus souvent, c’est l’œuvre des peintres. Vinci, lui, parvient à créer une émotion plus large et plus populaire grâce à sa personne, cet être multiple, extraordinairement moderne, qui mélange l’art, la science, les sciences humaines… S’il y a bien une figure qui refait le monde, c’est Vinci. Quant à ses tableaux, c’est de l’émotion. Ensuite, pour employer un mot de communiquant, il y a le storytelling : un peintre florentin qui vient mourir en France, à Blois, qui raconte lui-même sa propre histoire, mais dont les secrets restent inaccessibles.

L’émotion, c’est ce qui déclenche une action, qu’il s’agisse de contempler ou d’acheter…

On pense souvent que la publicité peut faire ce qu’elle veut avec l’émotion, qu’il n’y a pas de rationnel dedans. Mais il y a un chemin rationnel vers l’émotion. Le sourire de Mona Lisa, ce n’est pas n’importe quoi ! Je ne suis pas experte en peinture, mais il y a les couleurs, la touche, la position du modèle, son regard… Parfois, mes clients me parlent d’émotion comme si je faisais des singeries. On ne peut pas mettre un bébé dans une publicité n’importe comment, n’importe quand, sous prétexte que cela crée de l’émotion. Le bébé doit avoir un lien avec ce que l’on veut dire, si l’on veut que cela raconte une histoire. Avec la Joconde, il y a le sourire. Le sourire est l’un des actes humains les plus intelligents. Le sourire montre notre capacité à communiquer avec les autres. >

Est-ce pour cela que la Joconde a été reprise dans de nombreuses publicités ?

Elle est devenue, au fil du temps, un symbole fort, le symbole de plein de choses : de l’émotion, de la peinture, de la Renaissance… Il est donc possible de l’utiliser comme un signe, reconnaissable immédiatement. Toutefois, il ne me viendrait pas à l’idée d’utiliser la Joconde sans d’abord en rechercher le sens. D’ailleurs, lorsque l’on me parle d’un tableau dans la publicité, je ne pense pas seulement à la Joconde, mais aussi à la Laitière de Vermeer. Si vous voulez dire dans une publicité que vous êtes dans un musée, la Joconde en arrière-plan, c’est efficace, mais je n’ai jamais vu d’usage très subtil de la Joconde dans la publicité, à la différence de la Laitière. Le lait qui est versé est un symbole plus simple et plus direct vers le produit. La Joconde, c’est plus compliqué, plus intello. Mona Lisa est très réservée, son sourire subtil. En cela, elle ne fait pas une image évidente, tout en étant populaire.

À titre personnel, la peinture de Vinci vous touche-t-elle ?

Je l’adore ! J’aime les tonalités où l’on sent le temps qui est passé sur la peinture, où l’on sent les couches successives, la profondeur des couleurs… C’est un peintre qui parle, mais de l’intérieur. En fait, même s’il a écrit, témoigné, Léonard reste très intériorisé. C’est un peintre de l’âme. C’est magique.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°727 du 1 octobre 2019, avec le titre suivant : « Léonard de Vinci, ce n’est pas de la publicité, c’est de l’art »

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