Histoire de l'art

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Usages du faux

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 22 juin 2010 - 559 mots

La copie passionne les historiens et les sociologues par sa polysémie.

Un tableau représentant Le Christ devant Pilate cosigné par Albrecht Dürer et Luca Giordano, en réalité une copie virtuose du premier par le second. Un masque en cristal de roche précolombien datant du… XIXe siècle. L’histoire de l’art s’est aussi écrite par l’histoire des faux, notion relative aux frontières mouvantes entre vrais faux, copies anciennes et copies modernes ou pastiches. Le sujet a fait l’objet d’un colloque, organisé en avril 2004 au Musée du Louvre. Historiens de l’art mais aussi scientifiques, sociologues, juristes ou écrivains s’étaient ainsi succédé au pupitre pour livrer une quinzaine de contributions sur un thème qui alimente maints fantasmes. Leurs interventions sont aujourd’hui reprises dans une publication qui vient étayer une bibliographie assez mince, depuis le texte fondateur d’Otto Kurz paru à Londres en 1948 (Faux et faussaires, réédité en français en 1983 chez Flammarion). Le sujet passionne pourtant les historiens de l’art car il en dit long sur leur discipline, aux prises avec l’histoire du goût, le marché, la relativité des arts et la subjectivité de ses méthodes d’attribution, renforcées actuellement par les examens de laboratoire. 

Dans son texte, Michel Laclotte, président-directeur honoraire du Musée du Louvre, insiste sur la subtilité de la notion de faux, « œuvre longtemps crue d’un grand maître et qui a perdu son attribution ». Son exposé décrit l’existence d’une hiérarchie implicite des faux – peu valide aux yeux des juristes –, rappelant que Vasari a lui-même érigé le talent de copiste en qualité majeure d’un artiste. 

C’est au début du XXe siècle que les faussaires ont commencé à donner du fil à retordre aux plus éminents spécialistes, comme le rappelle le passionnant article dû à Gianni Mazzoni, professeur à l’université de Sienne. Celui-ci relate l’activité d’artistes siennois du début du XXe siècle qui se sont attachés à satisfaire la forte demande de primitifs italiens venant des collectionneurs et musées américains. Ainsi d’Alceo Dossena, qui copiait parfaitement la sculpture de Donatello, ou encore de Federico Joni, dont l’autobiographie dans sa traduction anglaise a été caviardée grâce à l’entremise d’influents marchands d’art internationaux. Joni, qui dirigeait en réalité un atelier, avait commis un crime de lèse-majesté : il avait trompé l’éminent collectionneur et critique américain Bernard Berenson. Ce dernier aurait toutefois conservé un Joni parmi ses tableaux anciens afin de tester, à son tour, les connaisseurs… 

De l’inauthentique
Le faux est lié à la demande mais aussi à la mode. Cité par Michel Laclotte, le « faussaire pathétique », identifié par Charles Sterling, peignait du primitif italien dans une veine expressionniste à la Otto Dix… L’authenticité compte d’abord pour les experts et les marchands, puisque la valeur vénale de l’œuvre en dépend. Il n’y a d’ailleurs faux que quand l’auteur est reconnu. C’est cette entorse à la valeur d’authenticité – déterminée par la traçabilité, la substance et le style de l’œuvre – qui intéresse Nathalie Heinich. Or « les épreuves d’authenticité sont aussi minutieuses, longues et fortement investies dans le domaine de l’art que le sont les efforts pour infirmer ou attester les miracles », relève non sans cynisme la sociologue. Autant de problèmes balayés par l’art contemporain depuis les ready-made de Duchamp, l’inauthentique étant dès lors érigé en qualité.

DE MAIN DE MAÎTRE. L’ARTISTE ET LE FAUX, collectif, coéd. Hazan/Musée du Louvre, 352 p., 20 euros, ISBN 978-2-7541-0296-4.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°328 du 25 juin 2010, avec le titre suivant : Usages du faux

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