Livre

Françoise Vergès

Une entrée au Panthéon, un monument ou une statue ne répondent pas aux inégalités

Par Olympe Lemut · L'ŒIL

Le 25 janvier 2022 - 499 mots

Dans son dernier livre, l’universitaire et militante s’intéresse au quartier de la Porte Dorée à Paris, où subsistent de nombreux monuments coloniaux. Elle s’attache à en décoder les symboles et la violence cachée à l’heure où leur présence est de plus en plus contestée.

Le Palais de la Porte Dorée, construit pour l’Exposition coloniale de 1931, possède des décors peints et sculptés exceptionnels. Faut-il pour les étudier privilégier l’histoire coloniale sur l’histoire de l’art ?

Les deux aspects sont liés : l’esthétique choisie répondait à l’objectif qui était de célébrer l’empire colonial et la supériorité de la France. Pourquoi cette architecture monumentale ? Qui a eu l’idée de cette gigantesque fresque ? À partir de quels documents Albert Laprade, l’artiste, a-t-il travaillé ? Qui étaient les travailleurs qui ont construit le monument ? L’esthétique n’est pas neutre : sur ces fresques, tout le monde est au travail, les Africaines ont le buste nu mais pas les Asiatiques ; animaux, plantes et humains sont mélangés, c’est un monde moitié animal, moitié humain, que la colonisation va ordonner.

Vous utilisez dans cet ouvrage des sources au statut très varié, dont de nombreuses photographies et images d’archives. Comment donner plus de visibilité à ces corpus dans la société, au-delà du travail des historiens et des expositions ?

Toute cette connaissance devrait être largement diffusée. Tout le monde devrait y avoir accès. Tout ce qui nous entoure a du sens, or nous sommes éduqués à croire que ce que nous avons sous les yeux est naturel : l’exploitation, le racisme, le sexisme. Mais ce n’est pas comme la Terre qui tourne autour du Soleil ! C’est le résultat de choix. L’école, les médias, l’université, les écoles d’art, les institutions culturelles doivent jouer un rôle pour rendre sensible le monde qui nous entoure.

Vous évoquez les actions de décolonisation de l’espace public et en proposez de nouvelles formes. Le poids historique des monuments peut-il être contrebalancé autrement que par des déboulonnages ?

Plusieurs de ces statues et monuments pourraient être enlevés de l’espace public. C’est déjà arrivé. Pourquoi les statues de Gallieni, Marchand ou Faidherbe devraient-elles être là pour les siècles et les siècles à venir ? Le choix de célébrer ces hommes fut un choix politique fait pour des raisons précises – célébrer des représentants de l’armée coloniale. On peut tout à fait revenir sur ces choix puisque ces hommes ont ordonné des massacres, commis des crimes et couvert vols et viols.

Je suis pour beaucoup plus d’imagination dans la manière dont on pense la mémorialisation dans l’espace public : il n’y a pas que la statue ou le monument ! Décoloniser la ville, c’est la rendre accueillante à tous et à toutes. Or, pour l’instant, elle est hostile aux jeunes Noirs et Arabes, aux femmes voilées, aux femmes en général, aux trans, aux réfugiés, aux sans-logis. L’espace public décolonisé doit être pensé avec tout cela en tête. Une entrée au Panthéon, un monument ou une statue ne répondent pas à ces inégalités.

Françoise Vergès, Seumboy Vrainom,
Shed, 190 p., 15 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°751 du 1 février 2022, avec le titre suivant : Une entrée au Panthéon, un monument ou une statue ne répondent pas aux inégalités

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