Thèses et synthèses

Deux monographies pour de Troy et Durameau

Le Journal des Arts

Le 27 septembre 2002 - 706 mots

Considéré comme un des plus grands peintres d’histoire de son temps, Jean-François de Troy (1679-1752) est passé à la postérité pour ses scènes de genre. Plus tard, Louis-Jacques Durameau (1733-1796), certes moins talentueux, connut semblable fortune. Deux monographies offrent une vision plus complète de leurs talents, mais souffrent d’une approche trop académique.

D’un côté Le Déjeuner d’huîtres (1735), un grand tableau de Jean-François de Troy, de l’autre, La Partie de cartes aux bougies (1767), un modeste dessin de Louis-Jacques Durameau, deux scènes de genre emblématiques du XVIIIe siècle et de son art de vivre, qui ont préservé leurs auteurs de l’oubli. Peintres d’histoire, ces deux artistes auraient certainement regretté cette postérité paradoxale. Les ouvrages publiés par Christophe Leribault et Anne Leclair aux éditions Arthéna, tous deux agrémentés d’un catalogue raisonné, s’efforcent de donner une image plus juste de de Troy comme de Durameau.

L’aîné, Jean-François de Troy, possède une autre envergure que son cadet. Tout au long d’une carrière pavée d’honneurs, il s’essaye avec une indéniable facilité aux genres les plus divers, du portrait à la peinture d’histoire, en passant par la scène de genre. À cet égard, l’ampleur du catalogue est éloquente. Ce talent varié a naturellement une incidence sur son art et, comme le remarque Christophe Leribault, “c’est paradoxalement sa pratique de la scène de genre qui semble lui avoir permis d’explorer une voie originale dans la peinture d’histoire : la représentation de l’histoire moderne”. La mise en images de La Henriade de Voltaire ou encore de La Mort de Louis XIII témoigne de ce désir de s’approprier l’histoire récente du royaume. La reconnaissance qui accompagne ses succès le mène à la direction de l’Académie de France à Rome, de 1738 à 1752, période au cours de laquelle il multiplie les commandes prestigieuses pour l’Église, le roi... Si l’on a la curiosité et la patience de lire le chapitre consacré à la fortune de l’artiste, on mesurera sa réussite matérielle. La fatuité de ses autoportraits ne trahit-elle pas le peintre mondain ? La plus grande partie du texte, issu d’une thèse, est d’ailleurs consacrée au récit de cette vie sociale de gentilhomme plus que d’artisan. Des conditions de sa nomination à l’organisation de son ménage, l’auteur n’omet aucune circonstance de son séjour italien, mais perd un peu de vue la peinture. Une façon sans doute involontaire de souligner que le souci de la carrière a pris le pas chez de Troy sur le questionnement artistique.

Conservateur avant l’heure
La figure de Durameau n’a évidemment pas le même relief. Et l’appréciation de son art est rendue difficile par la disparition de nombreux décors importants. Néanmoins, il reste quelques morceaux significatifs de ses grands travaux : Le Triomphe de la Justice à Rouen (palais de justice), La Mort de saint François de Sales et Le Martyre de saint Cyr et de sainte Juliette, conservés dans l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris, Saint Louis lavant les pieds aux pauvres à l’École militaire, ou encore le plafond de l’Opéra de Versailles. Les lieux de son intervention signalent assez la renommée du peintre, notamment auprès de la direction des Bâtiments du roi. Son nom restera aussi attaché à son rôle de “conservateur” des tableaux du Cabinet du roi à Versailles. Précurseur d’une profession promise à un bel avenir, il a témoigné d’un souci éminent de préserver l’intégrité de la collection face aux demandes du Museum central (le Louvre) mais aussi de la restaurer et d’en dresser les inventaires.

Comme souvent chez les artistes de son temps, les Deshays, Doyen et consorts, les esquisses apparaissent plus séduisantes que les tableaux achevés, qui trahissent l’épuisement d’une certaine peinture d’histoire sombrant dans l’anecdotique et le pittoresque. Mieux encore, ses dessins ont toujours gardé la faveur des amateurs. Le travail effectué par l’auteur est utile dans la mesure où il répertorie toutes les œuvres de l’artiste, connues ou simplement mentionnées dans des documents, ouvrant ainsi la voie à l’identification de nouveaux tableaux. Mais l’ouvrage trahissant son origine s’avère bien scolaire et surtout irrite à force de tenir à distance ce qui constitue son objet même, l’œuvre.

- Christophe Leribault, Jean-François de Troy 1679-1752, éd. Arthéna, 495 p., 125 euros. ISBN 2-903239-30-4. n Anne Leclair, Louis-Jacques Durameau 1733-1796, éd. Arthéna, 352 p., 97,57 euros. ISBN 2903239-28-2.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°155 du 27 septembre 2002, avec le titre suivant : Thèses et synthèses

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