Question d’art : Argent et Autobiographie

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 1 décembre 2004 - 651 mots

Le concept est aussi séduisant qu’ambigu. Opérer le commissariat d’une exposition thématique uniquement par l’intermédiaire d’un livre et ainsi priver le lecteur, transformé en spectateur, de son expérience physique des œuvres, de cette intimité qui peut tout déclencher, la compréhension et l’appréciation en tête. La répartie à ce « point noir » : une sélection débridée, insouciante des questions d’argent, bref une liberté rarissime pour un commissaire et un public. Mais l’exposition « portable » offre-t-elle vraiment la parade à ces contingences économiques qui freinent les ambitions des programmations ? Qu’en est-il des catalogues d’expositions « physiques », sont-ils tous insatisfaisants pour qu’un éditeur se lance dans une telle aventure alors qu’on connaît les échecs essuyés il y a quelques années par les expositions virtuelles vendues sur CDRom ? Et doit-on voir ces deux premiers ouvrages de la collection « Question d’art » comme des manuels à usage de musées en mal d’inspiration ? Beaucoup d’interrogations planaient sur une rencontre organisée avec les deux auteurs d’Argent, Kathy Siegel, critique d’art et universitaire américaine et Paul Mattick, professeur de philosophie, auteur et rédacteur en chef d’une revue économique. Ce sont des pointures, un point rassurant pour la collection. Tous deux ont fait de cet ouvrage, leur exposition idéale, un fantasme très bien documenté et construit. Le texte d’introduction met en perspective les exemples les plus récents de l’art avec d’autres plus historiques où l’argent tenait une place centrale. Comme tous deux ont déjà été curateurs d’expositions, la frustration est donc à éluder de leur intention et d’ailleurs ils rêveraient de donner une réalité à cet Argent. Avis aux musées et centres d’art parisiens de préférence.
Argent a pris forme à partir des œuvres, des images plus justement, ce sont elles qui structurent
la progression entre les salles « Matériaux précieux », « Crédit », « Production », « Magasin », « Circulation », « Mondes des affaires », « Alternatives ». Les choix pertinents, même originaux pour certains, les notules d’explications en forme d’introductions, insuffisantes pour les amateurs éclairés mais pratiques, et l’iconographie dense composent une partition séduisante, une explication de texte cadrée et entraînante. La botte secrète ? La discussion déployée en fin d’ouvrage entre divers spécialistes de la question. Pour Argent, les auteurs ont fait appel aux lumières de Rainer Ganahl, Raymonde Moulin, Lana Relyca, Richard Shiff. Le résultat est vif, instructif, flirtant même avec la polémique dans le cas d’Autobiographie. Jolie gageure.
Les catalogues d’exposition ont-ils alors du souci à se faire ? En relisant celui de GNS, dont la démonstration physique s’était tenue au Palais de Tokyo à l’été 2003, on se dit qu’on ne joue pas dans la même catégorie. Sa thématique (pour faire vite et ce n’est pas lui rendre justice, les liens entre géographie et art) est explorée d’une manière bien plus complexe, subjective et érudite que celle appliquée aux deux premiers opus lancés par Thames & Hudson. D’ailleurs, l’usage n’est certainement pas le même. Argent, Autobiographie et les futurs Action et Lieux visent un lectorat plus large à qui ils proposent une analyse plus générale des sujets que celle très critique et spécialisée de GNS. Dans le premier cas, ces livres viendront rivaliser, et sans aucun doute supplanter, les éditions grand public trop souvent truffées de poncifs, douées pour les raccourcis à outrance. Les auteurs convoqués pour l’exercice sont dignes de confiance, clairs, concis même si l’ouvrage Autobiographie est un peu plus faible que le brillant Argent. On ne peut alors que souhaiter tout le succès que mérite « Question d’art » afin que son éditeur anglo-saxon relève le challenge d’explorer des thématiques
alléchantes bien que glissantes, rebattues, ambiguës ou démesurées : identité, utopie, enfance, corps, kitsch, sériel, le quotidien, le processus, le langage, l’interactivité, la lumière, le son... Vite, vite.

Barbara Steiner, Jun Yang, Autobiographie, Thames & Hudson, 208 p., 22 euros. Katy Siegel, Paul Mattick, Argent, Thames & Hudson, 208 p., 22 euros.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°564 du 1 décembre 2004, avec le titre suivant : Question d’art : Argent et Autobiographie

Tous les articles dans Médias

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque