Paysages

L'ŒIL

Le 1 mai 1999 - 482 mots

Tout paysage est lieu de mémoire. Trois ouvrages sortent ce mois-ci pour en évoquer les différentes facettes.

Sous les frondaisons, l’humus des forêts recueille les fragments des conflits humains : pierres et os dispersés dans les cendres et la boue. C’est également dans le creux des vallons, dans les plis et déplis du terrain, dans l’agencement des végétaux aussi, que s’organisent ces espaces dont l’histoire a fait sa pitance. La substance du livre de Simon Schama est faite de cela, de l’étude de ces bois, de ces plaines, de ces cours d’eau et des passions humaines qui les ont transformés. Les paysages, ceux que l’on connaît déjà, et les autres, inconnus et inexplorés, appartiennent à notre mémoire, gravés en nous par les récits, les mythes, les représentations les plus diverses. On ne découvre pas un paysage, on le revoit. La lecture que nous en faisons est toujours le résultat d’un ajustement. Ajustement entre notre mémoire individuelle avec ses peurs, ses fantasmes, ses nostalgies et cette mémoire collective qui n’en finit pas de nous conter la pesanteur du passé. Le livre s’organise en trois mouvements vertigineux comparables à quelque symphonie. Le point de départ est la recherche par l’auteur des traces d’ancêtres juifs disparus dans l’obscure forêt primaire polonaise. À partir de cette trame, sorte de journal de voyage, Simon Schama inventorie la manière, sans cesse changeante, par laquelle l’homme entretient une relation avec le paysage. Déambulations affectives, anecdotes historiques, citations et métaphores rythment le récit. Le périple reste longtemps incertain. Il oscille, navigue de l’Antiquité à nos jours, évoque maints personnages historiques, traverse des contrées aujourd’hui oubliées. L’ouvrage terminé, chaque lecteur découvre combien la matière du paysage dépasse le visible, combien sa substance est tissée de ces ombres lointaines qui attestent d’installations humaines. Mais cette typologie du paysage ne serait complète sans l’étude de deux autres spécifités du paysage contemporain malheureusement absentes de l’ouvrage de Schama. D’une part, il existe à travers le monde d’autres modes de perception du paysage ; d’autre part, les nouveaux rapports entre centre et périphérie délimitent désormais un ensemble de territoires aux franges incertaines, en perpétuel changement. Dans ce premier registre, le très beau recueil de photograhies réalisé par Thierry Girard au Japon est un bel apprentissage d’une conception du paysage différente malgré les phénomènes d’industrialisation.
Dans un autre registre, le Paysage sur catalogue de Dominique Auerbacher se veut une réponse plastique d’une rare pertinence. « Documenter » l’espace urbain français en totale déliquescence, montrer comment l’espace privé est envahi par l’espace public, revient à rendre exemplaire une certaine forme de conditionnement du citoyen-consommateur.

- Simon Schama, Le paysage et la mémoire, éd. du Seuil, 721 p., 235 F, ISBN 2-02-017277. - Thierry Girard, La route du Tôkaidô, éd. Marval, 128 p., 75 ill., 250 F, ISBN 2-86234-274-2. - Dominique Auerbacher, Paysage sur catalogue, éd. ARP/Hazan/Observatoire photographique du paysage, 112 p., 145 ill., 295 F, ISBN 2-930115-04-1.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°506 du 1 mai 1999, avec le titre suivant : Paysages

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