N@rt, Icono et Jodi, trois sites d’artistes

Par Christophe Domino · L'ŒIL

Le 1 décembre 1998 - 667 mots

N@rt (http://www.Nart.com) se présente comme un espace qui tient à la fois de la galerie (galerie N@rt-Brugel) et comme un lieu de rencontre et d'échange. En particulier, cultivant le paradoxe privé/public qu'entretient volontiers Internet, N@rt se propose de mettre ses visiteurs en relation directe avec des artistes, prestigieux, est-il précisé. Ainsi du projet d'accès permanent en direct à l’atelier d’Arman à New York par deux caméras, mais sans liaison sonore, selon le souhait de l’artiste, par respect de la correction car il aurait le verbe trop haut pour le rendre public quand il travaille. Mais le projet est mis en péril, ou du moins en retard, par le refus de la compagnie de téléphone new-yorkaise d’ouvrir la ligne : l’opérateur privé agirait-il pour protéger les derniers secrets et ralentir la spectacularisation de la création ? On n’ose y croire ! N@rt propose aussi des expositions comme celle constituée autour d’un groupe d’artistes qui se reconnaissent sous le label de fractalistes, et qui « réinventent le langage artistique » en s’appuyant sur le « paradigme de la complexité ». Joseph Nechvatal, Pierre Zarcate ou Miguel Chevalier sont au nombre de ces onze artistes qui participent à la rêverie d’un modernisme un rien nostalgique, qui veut un art armé par la science. La peinture n’y gagne pas à coup sûr... Au fond, c’est le fonctionnement même du site qui pose problème. Ainsi, le principe de commande d’œuvres en ligne est lui plutôt amusant, mais les productions des artistes représentés ne paraissaient guère convaincantes. Il faut dire que le site agit en somme plutôt en prestataire de service, ou en site-relais, et que le renouvellement de ses pages dépend de ses contrats d’hébergement ou de projets qui demeurent ponctuels. L’indépendance économique est-elle pensable, sur le réseau, et qui plus est sur le territoire de la culture ?

Icono est un site « .org », et non « .com ». Associatif, non commercial, il permet à bon nombre d’artistes de concevoir des projets spécifiques – voire de documenter des œuvres qui existent sous d’autres formes. Souvent en partenariat avec des structures et organisateurs d’exposition qui se présentent en ligne (la galerie La Glassbox à Paris, la Biennale d’Enghien...), Icono réunit plus d’une trentaine de noms d’artistes (Emmanuel Pierrot, Joël Bartoloméo, Olivier Nottelet...), certains pour plusieurs propositions (Simon Tric, Pierre Giner, Angie Anakis, Jan Kopp et les textes étranges de sa Généalogie d’avocat, Michael Blum et Le Réseau). Le site est très représentatif des tentatives d’artistes jeunes, voire très jeunes, et directement concernés par l’usage des nouvelles technologies, sans le soutien de structures spécialisées. Projets pour l’espace public, mémoire d’exposition, projets interactifs (par collections de documents écrits ou d’images), dispositifs sonores, c’est avant tout la variété des enjeux (et parallèlement la diversité dans la réussite) qui fait l’intérêt d’une visite sur http://www.icono.org.
Pourtant, ces sites se révèlent finalement de modeste ambition, voire presque timides dans la manière de tenir compte du médium et du vocabulaire disponible sur un écran : il n’y est question en somme que de mettre en vis-à-vis textes et images, comme dans une page imprimée, de faire passer un message, de recueillir une information en retour, d’assurer un minimum d’échanges dans une situation de communication qui reste attendue.

Cela se passera autrement sur Jodi. Là, le langage du réseau s’autonomise. Là, la machine joue avec vous plutôt que vous ne vous en rendez maître. Vous cliquez sans doute, vous réagissez, vous interprétez. Mais toujours moins vite que la machine, comme si votre propre ordinateur ne vous répondait plus vraiment. Des colonnes de codes informatiques, des schémas, des indications imprévues, voire vaguement inquiétantes, car elles paraissent ne pas se limiter à la fenêtre ouverte et gagner tout l’interface de votre propre terminal. Accrochez-vous à votre raison ; ne croyez pas tous les messages d’alerte, comme ce « transfer interrupted ! » qui ouvre la connexion... Les deux créateurs de Jodi ont gardé l’anonymat, mais leur site est bien connu comme une exploration aux limites des codes, sur les limites des codes.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°502 du 1 décembre 1998, avec le titre suivant : N@rt, Icono et Jodi, trois sites d’artistes

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