Restauration

Limites à ne pas dépasser

La restauration des œuvres d’art en perpétuel débat

Par Stéphanie Pioda · Le Journal des Arts

Le 13 avril 2001 - 690 mots

Depuis plusieurs années, le débat sur la restauration s’est cristallisé à l’occasion d’interventions contestées sur des œuvres majeures comme celle de la chapelle Sixtine. La traduction en français de deux ouvrages capitaux pour la théorisation de la discipline apparaît opportune, en livrant au public les réflexions de Camillo Boito (1836-1914) et Cesare Brandi (1906-1988).

Avant le XIXe siècle, la restauration était le fait d’artistes ou d’artisans, et le goût de l’époque dictait l’attitude envers une œuvre d’art. Girardon n’hésite pas à reconstituer le bras manquant de la Vénus d’Arles et lui rétrécit la poitrine, le siècle de Louis XIV la préférant menue, le fronton du temple d’Aphaia d’Égine (Munich) est complété par Thorvaldsen, tandis que Canova refuse de reprendre l’œuvre de Phidias. Lorsque Camillo Boito écrit son texte (extrait du livre Questioni pratiche di belle arti, Milan, 1893), il imagine un dialogue entre un interlocuteur défendant la position de Ruskin, attaché au respect de l’œuvre et de son histoire, et celle de Viollet-le-Duc, avide de création architecturale. Critiquant ce dernier, il met en garde contre les dangers de la théorie romantique : la trop grande intervention amène à douter de l’authenticité du bâtiment modifié à outrance : “Nous ne devons tromper ni nos contemporains ni les autres.” Avant toute transformation, il est préférable de privilégier la consolidation et la conservation. Toute adjonction ou reproduction d’élément architectural sera nécessairement démarquée du monument par des matériaux différents, et les nouvelles formes ne doivent pas jurer avec les anciennes. Toute modification est photographiée, documentée au maximum. Boito est guidé par le respect de l’unité stylistique et du poids de l’histoire sur l’édifice, grâce à une véritable démarche dialectique : “Les erreurs du passé ne sont pas imputables à l’ignorance mais à la méthode. Tant que l’on acceptait la méthode, elle paraissait excellente.” Ses idées ont été inscrites dans la Charte d’Athènes (1931) et ont constitué une source importante pour la réflexion de Cesare Brandi. Fondateur de l’Institut central de restauration de Rome en 1939, il a tenté une analyse systématique des différents aspects de la restauration. Son livre (1963) est la réunion d’articles publiés entre 1949 et 1961, ouvrant le chemin à la Charte de Venise (1964), dont les principes techniques et juridiques régissent la remise en état des œuvres d’art dans le monde entier. Le premier postulat est la reconnaissance dans les consciences de l’œuvre : “La restauration constitue le moment méthodologique de la reconnaissance de l’œuvre d’art dans sa consistance physique et sa double polarité esthétique et historique, en vue de sa transmission aux générations futures.” Épiphanie de l’image, la matière doit être préservée en considérant les limites de l’action entreprise, dictées par le jeu conflictuel entre l’histoire (les ajouts, les nettoyages, la patine) et l’esthétique (l’appréhension visuelle qui peut être brouillée par des lacunes trop importantes, un style...). “On ne restaure que la matière.” Tout comme Boito, Brandi défend une intervention minimale, réversible, car ce moment historique dans lequel une décision est précisément circonscrite dans le temps : les générations futures auront certainement un autre regard, des attentes différentes, des connaissances plus complètes. La vérité n’existe pas, et il n’est pas question de risquer de falsifier une œuvre en imaginant l’intention de l’artiste. Les attitudes varient dans le temps, mais aussi selon les pays, comme le rappelle le texte sur la “querelle des vernis” entre les Anglais et les Italiens dans les années 1950-1960 : tandis que les premiers étaient partisans d’un nettoyage total du vernis, les seconds exigeaient la plus grande prudence afin d’éviter de détruire des glacis superposés essentiels à l’ambiance générale de la peinture.

Ces deux réflexions, illustrées d’exemples, sont avant tout théoriques, car chaque restauration est unique. Dans le contexte de la création contemporaine, cette règle est également d’actualité et le sera d’autant plus que les artistes utilisent toutes sortes de matériaux dont l’évolution dans le temps est inconnue. Autant de nouveaux défis pour les restaurateurs.

- Camillo Boito, Conserver ou restaurer, les dilemmes du patrimoine, Les éditions de l’Imprimeur, 2000, 212 p., 98 F. ISBN 2-910735-45-1.
- Cesare Brandi, Théorie de la restauration, Éditions du patrimoine/École nationale du patrimoine, 2001, 208 p., 120 F. ISBN 2-85822-598-2.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°125 du 13 avril 2001, avec le titre suivant : Limites à ne pas dépasser

Tous les articles dans Médias

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque