Prière d’insérer

L’honnêteté confuse de Laurence Bertrand-Dorléac

L'ŒIL

Le 14 septembre 2012 - 495 mots

Un professeur de littérature aurait biffé à grands traits des paragraphes entiers avec la mention : « hors sujet ». Le titre du livre de Laurence Bertrand-Dorléac, Contre-déclin, Monet et Spengler dans les jardins de l’histoire (Gallimard, 313 p., 24 €), laissait présager une discussion autour de deux hommes face à l’histoire, de deux conceptions de l’art et de son avenir. Malheu­reusement, des sujets périphériques sont largement plus développés, notamment dans le chapitre qui devrait nous plonger au cœur de l’étude : « Le triomphe de Monet ». Si le propos est d’une grande clarté quand il s’agit de définir la philosophie du déclin de Spengler – un être absolument épouvantable et frustré –, on ne retient de l’ouvrage qu’un sentiment de confusion honnête d’une auteure emportée par trop d’enthousiasme. Honnête, car si l’on se souvient d’avoir lu que « Spengler, alors même qu’il semble croire à la biologie, s’insurge contre tout ce qui vise à améliorer le sort physique des populations avides de protection et de bien-être – tout signe de progrès est écarté pour asseoir l’idée d’un “déclin inexorable” », on comprend pourquoi Laurence Bertrand-Dorléac disserte longuement sur… l’Aquarium de Paris. Il faut avouer qu’étudier Spengler donne envie de se détourner de lui : « La fibre nationaliste qu’il actionne pour [les élites cultivées] sur le mode étrange de l’apocalypse alliée au pari de la “dernière chance” en fait l’un des pères belliqueux de la révolution conservatrice qui encourage à sa façon le passage des bourgeois vers le nazisme et le recours à un Führer », écrit Bertrand-Dorléac. « Dès lors, qu’il se voit condamné à ne pas être le romancier qu’il a rêvé, poursuit-elle, il lui faut […] se tourner vers des hommes d’action guidés par un chef.

Or, […] le chef de Spengler vise à la puissance dans la domination : non seulement l’artiste ne peut prétendre à une place prépondérante, mais son utilité sociale devient flagrante et la démonstration anticipe la haine de l’art moderne par les nazis. » La philosophie du déclin de Spengler prend sa source dans la comparaison avec la nature. Ainsi, « une culture n’est pas davantage qu’une plante : elle naît, elle croît et décline avant de mourir ». Monet, quant à lui, « veut exagérer la vie (en se focalisant sur la nature) au moment où la guerre est engagée pour longtemps ». On regrette donc que la confrontation de ces deux manières opposées d’appréhender la vie et son devenir ne se fasse jamais réellement. Après avoir développé très largement sur Monet, l’auteure parsème ici et là une référence à Spengler sans ne jamais les mettre l’un et l’autre au cœur de la réflexion. Si l’ouvrage est à lire, c’est donc pour autre chose que son sujet initial. On trouve son plaisir dans l’étude de Darwin et ses coraux, l’impact de Haeckel sur l’architecture par ses planches de radiolaires, le canal de diffusion de l’art nippon ou Léonard de Vinci en précurseur des impressionnistes.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°650 du 1 octobre 2012, avec le titre suivant : L’honnêteté confuse de Laurence Bertrand-Dorléac

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