Les Brèves:Du fou du roi à Buren, Chastel et l’ancien régime....

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1996 - 1205 mots

Du fou du roi à Buren
Professeur à l’École pratique des hautes études, spécialiste de l’héraldique, Michel Pastoureau explore le monde symbolique et sociologique de la rayure, du Moyen Âge à nos jours. Longtemps perçue négativement, la rayure a suscité d’homériques disputes, en particulier entre la papauté et les religieux du Carmel, qui longtemps ne voulurent pas renoncer à leur manteau à rayures.

Au cours des siècles, la puissance codificatrice de ce motif a fluctué, avec des hauts, comme dans l’héraldique européenne, et des bas, mais l’alternance des couleurs n’est jamais devenue indifférente d’un point de vue symbolique. Que ce soit dans la peinture ou dans l’environnement urbain, dans le cinéma ou dans la mode, la rayure est une marque culturelle lourde de significations, qui véhicule en outre des ordres parfois essentiels. Le rayé n’arrête plus le regard, conclut Pastoureau. Il est trop effervescent pour ce faire. Il éclaire et obscurcit la vue, trouble l’esprit, brouille le sens. Trop de rayures finit par rendre fou.
Michel Pastoureau, Rayures, une histoire des rayures et des tissus rayés,  Éditions du Seuil, 144 p., 245 F.

Chastel et l’ancien régime
Ce troisième volume de la monumentale histoire de l’art français d’André Chastel couvre la période allant de 1620 à 1775, qui marque l’apogée du génie artistique national. Du Roi-Soleil à Louis xvi, Chastel commente et analyse avec la même érudition modeste et une vue également perçante, les métamorphoses de la peinture, de la sculpture et de l’architecture. Les chefs-d’œuvre qui scandent ces cent cinquante ans ne se comptent pas, mais l’auteur trouve à chaque fois les mots justes pour en circonscrire l’importance et l’intérêt. Nul doute que cette histoire, qui sera parachevée par un volume consacré au Temps de l’éloquence, ne devienne bientôt canonique.

Haskell et les images
Avant de songer à tirer un parti valide de toute représentation, si immédiate, si simple soit-elle, l’historien doit savoir ce qu’il a sous les yeux, c’est-à-dire en déterminer l’authenticité, la date, la raison d’être, et même se demander si elle passait pour belle. La question peut sembler naturelle et s’imposer à tout esprit moderne. Pourtant, elle soulève nombre de considérations et de problématiques qu’avec infiniment de patience, Francis Haskell analyse à partir d’exemples illustres et de figures décisives dans l’histoire des idées, comme Michelet, Ranke, Ruskin ou Huizinga.

L’entreprise de l’historien, qui interroge notre rapport à l’image et à l’art, débouche finalement sur une quête philosophique dont l’importance aujourd’hui ne saurait échapper à quiconque.
Francis Haskell, L’historien et les images Gallimard, Bibliothèque illustrée des histoires, 792 p., 420 F jusqu’au 31 janvier, 480 F ensuite.

Les valeurs de Ramirez

Son titre, son humour annoncé, son impertinence acquise et ses dessins laissaient présager un ouvrage roboratif. Juan Antonio Ramirez, professeur d’histoire de l’art à Madrid, a composé un livre qui laisse le lecteur sur sa faim, faute de n’avoir pas su se moquer de lui-même, faute de s’être inopinément repenti de brûler ce qu’il avait adoré.

L’habitué du monde de l’art n’apprendra rien sur l’écosystème auquel il appartient, et s’il s’aventure dans ces pages, au fond très sérieuses, le néophyte relèvera sans peine quantité de clichés sociologiques applicables à n’importe quel milieu professionnel. Au total, voilà un ouvrage pathétique, travaillé par la nostalgie et l’amertume, qui est un symptôme inutile de plus du désarroi contemporain.
Juan Antonio Ramirez, Les usines à valeurs, écosystème des arts et explosion de l’histoire de l’art, Éd. Jacqueline Chambon, 144 p., 110 F.

Marchand du sel
Les entretiens de Marcel Duchamp avec Pierre Cabanne constituent un témoignage essentiel de la mythologie artistique contemporaine. Âgé de soixante-dix neuf ans en 1966, Duchamp fait preuve d’un stratégique détachement vis-à-vis de son œuvre et de son influence déjà profonde. Au sens social, ordinaire du mot, la création, c’est très gentil, mais au fond, je ne crois pas à la fonction créatrice de l’artiste.

Si vous voulez, mon art serait de vivre ; chaque seconde, chaque respiration est une œuvre qui n’est inscrite nulle part. La modestie n’est qu’apparente, elle n’a chez lui qu’une seule fonction : susciter la protestation de son interlocuteur et de son lecteur.

Cette réédition est augmentée d’une nouvelle préface, où Cabanne souligne le caractère irréductible de l’œuvre et de l’homme, son extraordinaire capacité à susciter le commentaire. Cependant, on en trouvera peu dans l’ouvrage anonyme publié par le Cercle d’art et, à moindre coût, on se reportera pour une information essentielle à l’ouvrage de Janis Mink que publient les éditions Taschen.
Marcel Duchamp, Entretiens avec Pierre Cabanne, 158 p., 185 F. Somogy-Éditions d’art.
Janis Mink, Marcel Duchamp, Éditions Taschen, 96 p., 49 F.
Anonyme, Marcel Duchamp, Éditions du Cercle d’art, 64 p., 75 F.

Le théâtre de Pistoletto
Quoi qu’il en soit de l’influence fragmentée et dispersée de Duchamp, son ironie a été inégalement partagée par ceux qui pouvaient le mieux s’en réclamer. On trouve de tout dans les Mots de Michelangelo Pistoletto, y compris des professions de foi lyriques. Être artiste équivaut à entreprendre un voyage dans la vie en faisant appel aux sens de la vie, autrement dit à toujours regarder par-delà les barrières que la vie nous impose.

L’art me rend l’existence. Celui qui fut l’un des artistes phares de l’Arte povera donne de longues explications sur sa pratique et sur l’art en général, comme si son œuvre n’était qu’un volet de l’exploration du monde. Mais ces écrits partagent avec l’œuvre un caractère digressif et rusé, comme s’il s’agissait toujours de décaler les rendez-vous avec le spectateur et avec soi-même. Chaque fait a pour correspondant un accident, écrit-il ainsi : l’artiste n’est plus inspiré par les lézardes dans le mur, il conçoit son œuvre sous le signe ambivalent de la multiplicité des présences.
Michelangelo Pistoletto, Mots, Musée départemental de Rochechouart, 168 p., un deuxième volume retrace l’exposition récente de Pistoletto, les deux volumes 250 F.


À quatre mains
L’insolite collection 222, publiée par l’École régionale des beaux-arts de Valence, s’augmente de deux ouvrages. L’un et l’autre instaurent un dialogue entre une œuvre plastique et un texte parallèle. Michel Blazy et Gilles Clément donnent leurs Contributions à l’étude du jardin planétaire : l’artiste et le paysagiste croisent les mêmes fers selon des perspectives complémentaires.

Le principe est identique, mais son application très différente et plus littéraire avec Françoise Quardon et Marcel Cohen, qui livrent un savant chaos d’impressions et d’images sous le titre (Organiser).
Michel Blazy et Gilles Clément, Contributions à l’étude du jardin planétaire, Éditions Erba, 96 p., 65 F.
Françoise Quardon et Marcel Cohen, (Organiser), Éditions Erba, 96 p., 65 F.

La culture incertaine
1989 fut l’année de tous les bouleversements et des commémorations en tous genres. Au souvenir de la Révolution française répondait la chute du mur de Berlin : Un monde autre s’annonçait, prêt pour bien des reprises en main, sûrement, écrit Paul Ardenne en introduction à ce volume collectif, qui rassemble des études d’universitaires et de journalistes sur la culture de l’après-89. L’exercice qui consiste à écrire l’histoire avant qu’elle ne soit achevée n’est évidemment pas sans périls. Si l’historien a des contraintes légitimes de globalisation, l’historien-chroniqueur, qui garde intacts les outils de l’actualité, ne peut s’empêcher de verser dans des généralisations parfois hâtives, dont les vertus sont fatalement incertaines.
Sous la direction de Paul Ardenne, 1989, Éditions du Regard, 416 p., 198 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°21 du 1 janvier 1996, avec le titre suivant : Les Brèves:Du fou du roi à Buren, Chastel et l’ancien régime....

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