Les ambassadeurs du dessin vénitien

Dans un ouvrage incontournable, William Rearick met en lumière les styles et techniques des artistes du XVIe siècle

Le Journal des Arts

Le 25 janvier 2002 - 759 mots

Résidant dans la cité
des Doges, William Rearick s’est fait le spécialiste du dessin vénitien du XVIe siècle. Reconstituant l’itinéraire des grands artistes et de ceux considérés comme mineurs, sa synthèse publiée en italien – Il disegno veneziano del Cinquecento – dégage les caractéristiques
des différents styles et met
en relief l’évolution
des techniques dans la lagune.

Expert incontesté de l’histoire du dessin vénitien du XVIe siècle, William Rearick est professeur à Baltimore et également commissaire d’expositions des dessins de Titien, Véronèse et Jacopo Bassano. Auteur de nombreux essais, il s’inscrit dans la lignée des spécialistes des arts graphiques vénitiens. Il est l’héritier de Giuseppe Fiocco dont il fut l’élève à Padoue, et dont le travail a été poursuivi par les Viennois Hans et Erica Tietze dont le monumental corpus est encore aujourd’hui fondamental pour ce domaine d’études. Publié par Electa, Il disegno veneziano del Cinquecento (Le Dessin vénitien au XVIe siècle) est le fruit de plus de cinquante années d’un travail passionné consacré aux dessinateurs vénitiens. Conçu, selon les termes de l’auteur, comme une mise à jour de l’œuvre des Tietze, l’ouvrage n’a cependant ni la forme du catalogue systématique ni son développement monographique. Il se présente au contraire comme un long essai de lecture agréable qui, chapitre après chapitre, recompose un cadre historique complet, riche en nouvelles propositions d’attribution et en inédits, en considérations sur les techniques employées, sur le rapport toujours constant avec la production de peintures des artistes vénitiens étudiés et, enfin, sur la signification de l’ensemble des dessins considérés. Le cas de Giorgione continue d’intriguer les experts. Peu nombreux sont les dessins connus ou attribués – quatre ou cinq –, parmi lesquels le célèbre Jeune berger de Rotterdam et La Tempête. Proposant une interprétation iconographique de cette dernière œuvre, Roger Rearick suggère qu’il s’agirait d’un détail du mythe de Ganymède. Réalisées au crayon rouge comme le Cupidon inédit de Vienne ou le Paysage Heversy, dessin perdu, ces œuvres se situent vraisemblablement autour des années 1507-1508 et dénotent l’influence stylistique et technique de Léonard de Vinci. Au début du siècle, Lorenzo Lotto s’exprime en revanche dans une technique plus ancienne : la pointe d’argent sur papier préparé. L’extraordinaire Portrait de femme avec collier de perles de l’Accademia de Venise, que Rearick attribue à la jeunesse de l’artiste, subit déjà l’influence de la méthode délicate de Raphaël.
Vers 1510, Titien devient le véritable ambassadeur du dessin vénitien. Accentuant une tendance déjà inhérente à la culture vénitienne du XVe siècle consistant à utiliser le dessin comme une étape à part entière du processus pictural, l’artiste emploie la technique de la plume avec une touche subtile rappelant le travail des graveurs. Puis, il a recours au dessin à l’huile sur papier (comme dans l’inédit Paysage avec les amants d’une collection privée de New York) apparu pour la première fois à Florence au XIIIe siècle et employé successivement par de nombreux artistes vénitiens, de Véronèse à ses débuts à Jacopo Bassano et Tintoret.

L’invention du dessin “fini”
Les années 1520 annoncent une autre étape fondamentale dans l’histoire du dessin vénitien. Domenico Campagnola invente le dessin à la plume “fini”, signé et daté, conçu comme une œuvre d’art autonome, véritable délice des collectionneurs. En 1525, Titien produit également de splendides feuilles selon la même méthode (dont L’Été du Louvre) réalisées à la demande d’humanistes cultivés et raffinés. Vers la fin des années 1520 se répandent ainsi à Venise les modèles “finis” destinés à donner une idée précise de la peinture au futur acquéreur. S’il ne reste que très peu d’exemples de dessins de ce genre, le modèle préparatoire pour la Mort de saint Pierre martyre du Pordenone, conservé aux Offices, fait figure d’archétype dans le domaine. Éxécuté à l’aquarelle et au bistre sur une trace de craie noire illuminée à la céruse, ce dessin extraordinaire égale la finesse d’une miniature.
Dominées par la fougue des œuvres de Titien, les années 1530-1540 ont vu se répandre la manière romaine, tandis que dès la seconde moitié du siècle, Jacopo Bassano, Tintoret et Véronèse jouent un rôle fondamental dans l’évolution du dessin vénitien. Célèbre pour ses réalisations à la craie de couleur d’une grande modernité, Jacopo Bassano utilise plusieurs techniques et ses expérimentations audacieuses le mènent à une abréviation inhabituelle des formes antinaturalistes. Quant à Véronèse, il dépasse les conventions bien ancrées d’une tradition d’un XVe siècle, pour s’essayer à des techniques diverses, servant aux peintures finales, qui anticipent parfois le développement des formes maniéristes tardives.

- William R. Rearick, Il disegno veneziano del Cinquecento, éd. Electa, 2001, 264 p., 41,31 E, ISBN 88-435-7247-4.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°141 du 25 janvier 2002, avec le titre suivant : Les ambassadeurs du dessin vénitien

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