Livre

“Le Bois sacré” de la Sorbonne cache une forêt

Par Adrien Goetz · Le Journal des Arts

Le 8 février 2002 - 501 mots

Bien mauvais titre pour un bon livre : Quand la Sorbonne était peinte. Elle l’est encore, l’auteur le dit, mais surtout, il ne se limite pas aux peintures murales et s’intéresse aussi aux statues, marbres, bustes et reliefs sculptés.

L’ensemble du système de représentation et d’autocélébration des universités et le narcissisme des grandes écoles méritait une enquête de première main, fondée sur des sources d’archives, pour retrouver les origines de ces vastes programmes iconographiques, aussi politiques et codés que ceux de la galerie des Batailles ou de la salle des Croisades du Versailles de Louis-Philippe. Les étudiants de 1968, assis sur les genoux de Victor Hugo ou chatouillant la barbe de Pasteur, l’avaient bien vu avant les historiens. L’auteur ne se limite pas, dans cette excellente étude, issue d’une thèse de l’École des chartes, à la vieille Sorbonne, celle de Puvis de Chavannes qui a représenté l’“allégorie réelle” de l’Alma Mater au centre de son Bois sacré. Christian Hottin a su franchir les murailles austères de l’École des chartes – la Vue de l’ancienne abbaye de Saint-Germain-des-Prés par Dumoulin ne mérite pas grande attention – et a eu la très juste intuition d’étendre son enquête à tous les établissements d’enseignement supérieur : le Collège de France de Thévénin et de Lethière, l’École normale supérieure avec les quarante bustes récemment restaurés de la “cour aux Ernests”, l’École polytechnique et le Vitrail du bicentenaire conçu dernièrement à Palaiseau par Hervé Loillier, peintre et X, qui enseigne aujourd’hui l’histoire de l’art aux élèves officiers, l’École des mines où Abel de Pujol a peint La Science instruisant la jeunesse, mais aussi l’École des beaux-arts dont l’amphithéâtre est le chef-d’œuvre de Paul Delaroche, ou l’Institut national agronomique illuminé par les bleus de Chapelain-Midy, sans oublier la faculté de Pharmacie dotée d’une composition du symboliste Albert Besnard, ou la faculté de Médecine où Paul Landowski s’est immortalisé.
La “noblesse d’État” dont le regretté Pierre Bourdieu a décrypté le fonctionnement, a donc eu, elle aussi, aux XIXe et XXe siècles, ses tapisseries de haute lice et ses galeries d’ancêtres imaginaires, sa forêt de symboles et ses demi-dieux tutélaires. Cette mythologie républicaine, laïque, obligatoire et gratuite a marqué les esprits, suscité un enthousiasme étrange – Racine, représenté en buste à l’École normale devient, malgré lui et malgré elle, normalien honoris causa. Et Hottin, goguenard, cite les propos imbuvables, mais sans doute ironiques, du président Pompidou : “On naît normalien comme on naissait prince du sang. Cela ne se voit pas, mais cela se sait, bien qu’il soit poli, et même humain de ne pas le faire sentir aux autres.” Quel artiste du XXIe siècle se chargera – sur un programme iconographique que Christian Hottin est seul capable d’établir – d’“intervenir” un peu dans les couloirs ripolinés du nouvel Institut national d’histoire de l’art (INHA), rue Vivienne, qui accueillera en 2003 les futures promotions de conservateurs du patrimoine et d’archivistes paléographes ?

- Christian Hottin, Quand la Sorbonne était peinte, éd. Maisonneuve et Larose, préface de J.-M. Leniaud, 26 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°142 du 8 février 2002, avec le titre suivant : “Le Bois sacré”? de la Sorbonne cache une forêt

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