Livre

Littérature

La pensée à l’œuvre

Par James Benoit · L'ŒIL

Le 26 septembre 2019 - 472 mots

Renaître. C’est la promesse que fait la Renaissance, déjà à son époque et pour les générations qui la suivent.

Avec elle émerge le mythe de la sortie d’un Moyen Âge obscur et trouble vers une clarté enfin retrouvée. Si, de nos jours, c’est principalement à son œuvre picturale que Léonard de Vinci doit sa renommée, ses journaux, ses croquis et ses écrits, témoignent d’autres attentes, d’autres préoccupations et d’autres ambitions personnelles assez éloignées de celles des arts. Entretenant souvent, au fil des pages manuscrites de sa célèbre écriture inversée, ce qui ressemble à un dialogue intérieur à la deuxième personne, c’est l’homme à son ouvrage qui se dévoile et nous livre dans son immédiateté, désormais intemporelle, le fil de ses idées. Dans un style direct, ses notes, aujourd’hui rassemblées dans la collection Quarto, s’attardent autant à élaborer ses théories sur le fonctionnement dynamique des sujets et des objets décrits, les corps, les mouvements, les montagnes, l’eau ou la lumière, qu’à détailler la méthode même de leur représentation. Vinci s’attarde autant au voir qu’au montrer, au savoir qu’au faire-savoir, en vue de ce qui se présente souvent comme un travail préparatoire à un projet de publication future. Il y livre également l’essence mécaniste de sa pensée. Homme de l’instant, de l’agencement et du mouvement, il se plonge dans la description de chaque sujet d’étude par son expérience personnelle et semble y fonder son rapport humain au monde. « Ingénieur », c’est le titre par lequel il se définit lui-même. C’est l’activité qui réunit le mieux l’expression de sa curiosité et la motivation de son ego : distinguer les choses entre elles pour mieux se distinguer soi-même du commun des mortels. Patience, persévérance, curiosité, travail, expérience, définissent son talent. Bien plus que de faire œuvre d’art, il cherche avant tout à comprendre comment s’assemblent les rouages de la nature et ce que leurs mouvements d’ensemble montrent de la constitution de la vie elle-même, à chaque instant en transition d’un état vers un autre. Il ouvre l’œil, il observe, il mesure, il articule l’expression des infinies variations de la nature en train d’avoir lieu sous ses yeux, positionnant son point d’observation humain et immédiat au juste centre des choses. C’est en cela qu’il atteint en l’instant la présence du divin. Aussi, ce que révèlent ses tableaux, c’est cette pensée mise en image. Et ce que nous contemplons, dans l’émotion que soulève sa peinture, c’est cette fascination pour le spectacle du vivant, la chose en train de se faire, toujours en train de naître et de renaître d’elle-même. Cette impression d’élan perpétuel, de changement permanent, nous la retrouvons en synthèse dans le sourire énigmatique de la Joconde. Saisi dans le détail au moment où il se forme avec tout ce qu’il contient du mouvement à venir, il ouvre dès lors pour nous ce que l’instant présent contient d’éternité.

Léonard de Vinci,
 
Carnets,
Gallimard, Quarto, 1 656 p., 33 €.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°727 du 1 octobre 2019, avec le titre suivant : La pensée à l’œuvre

Tous les articles dans Médias

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque