Musique

De l’oreille à L’Œil

Karel Appel sur un thème de Gillespie

TSF Jazz - La chronique de Laure Albernhe

Par Laure Albernhe · L'ŒIL

Le 26 mai 2021 - 488 mots

Karel Appel est né il y a cent ans, à Amsterdam. Mort à Zurich en 2006, c’est à Paris qu’il repose, en bonne compagnie, au Père-Lachaise.

Entre-temps, le peintre et sculpteur néerlandais, cofondateur du mouvement CoBrA à la fin des années 1940, a beaucoup voyagé. Il part à New York une première fois en 1957, à la rencontre de l’expressionnisme abstrait, où, dans les clubs, il découvre aussi le jazz. Une rencontre décisive : la musique de jazz est celle qui correspond le plus à son élan créatif. À New York, il fait la connaissance de chanteurs et de musiciens : Sarah Vaughan, Count Basie, Miles Davis… Il peint leur portrait, à sa manière. Il y a même une photo où on le voit en compagnie de Miles, devant les toiles que le trompettiste lui a inspirées. Mais celui qui restera son ami et son complice, c’est un autre trompettiste, le père du be-bop, le facétieux Dizzy Gillespie.

De retour à Paris, le peintre fait l’objet d’un court film expérimental, La Réalité de Karel Appel, qui le montre au travail dans son atelier parisien. Ça fuse, ça gicle, c’est physique, c’est un combat contre la toile. « Je ne peins pas, je tape. L’expression doit être frappée dans la peinture », explique le peintre à la caméra. Derrière sa grosse moustache, on le voit qui jubile. Ses armes sont des palettes, des pinceaux, puis directement les tubes de gouache qu’il presse avec rage ; il y a de la couleur partout, il met les doigts, les poings, il écrase, il scarifie, il frappe. Dans le silence de son atelier, on n’entend que les bruits de la lutte et les râles des efforts.

Puis il part en ville, où la trompette de Dizzy Gillespie le suit : dans la circulation, au marché, chez un ferrailleur, à une terrasse de café, dans un défilé de mode. Elle est plus absolue que jamais, elle est libre, comme lui. De retour à son atelier, le cinéaste et journaliste Jan Vrijman filme à nouveau le peintre à l’œuvre, ses jaunes, ses orangés, ses gris, sa violence joyeuse. Appel s’est empli des sons de la ville et de ses tubes de gouache sort désormais une musique distordue, stridente, une « musique barbare ». C’est lui qui le dit, c’est lui qui l’a écrite, lui le peintre devenu compositeur. Sa peinture aussi, il la veut barbare : « Je peins comme un barbare au temps des barbares. » Et la trompette de Dizzy s’est tue. Ce sont les pinceaux, maintenant, qui jouent. Cymbales, tambours, place à la percussion. Au moment où le puissant créateur sort sa palette de blancs, la trompette revient, disparaît à nouveau, laisse place à des cris, se dispute, se bat et perd ; c’est le chaos. Silence. Karel Appel se sert un thé, y ajoute du sucre, contemple son travail, signe sa toile et la trompette revient, apaisée, elle joue avec le chant des oiseaux. C’est fini.

À retrouver.
Laure Albernhe et Mathieu Beaudou dans les Matins Jazz, du lundi au vendredi, de 6 h à 9 h 30 sur TSF JAZZ, la radio 100 % jazz. www.tsfjazz.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°744 du 1 juin 2021, avec le titre suivant : Karel Appel sur un thème de Gillespie

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