Collectionneurs - Livre

Itinéraire d’un collectionneur gâté

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 1 octobre 2018 - 798 mots

La littérature sur François Pinault était déjà riche d’ouvrages plus ou moins fouillés et « autorisés » sur la vie et l’œuvre de l’homme d’affaires français, mais ces derniers commençaient à dater.

Le dernier livre remontait en effet à 2003, à l’époque où le milliardaire réorganisait ses sociétés en vue de passer le flambeau à son fils François-Henri Pinault. Depuis cette date, plus rien, le breton de sang et de cœur s’étant fait plus discret dans les affaires pour vivre sa nouvelle vie de collectionneur d’art contemporain. Le livre que l’éditeur et écrivain José Alvarez consacre à ce dernier chapitre de la vie du milliardaire comble donc un vide. Prenant acte de la démission de la presse économique et artistique, François Pinault, artiste contemporain, texte au titre volontiers provocateur, se veut « le roman de la vie de François Pinault », un portrait qui ambitionne de « mettre au jour la complexité » du personnage, de « faire la part des choses colportées par ses détracteurs et ses thuriféraires », tout en cherchant à définir le « goût » Pinault, situé quelque part entre les « kitcheries » de Koons et le minimalisme de Ryman. Sur un peu plus de trois cents pages scindées en deux parties égales, José Alvarez retrace donc l’itinéraire de l’homme d’affaires et collectionneur, de son enfance dans le village de Trévérien à l’exposition de l’artiste Charles Ray qui inaugurera, en 2019, la collection Pinault à la Bourse du commerce à Paris.

Créateur des Editions du Regard, fin connaisseur du monde de l’art, José Alvarez connaît bien son sujet pour avoir « croisé » François Pinault à plusieurs reprises au cours des vingt dernières années, mais aussi pour avoir eu un accès direct à l’intéressé avant d’écrire son livre. un travail délicat, en réalité, tant le personnage cultive la discrétion, et un exercice d’équilibriste où le moindre faux pas, s’il ne vous fait pas vaciller dans la critique excessive, vous emmène vers l’hagiographie laudative. à dire vrai, le livre n’évite aucun de ces écueils. François Pinault, artiste contemporain est un portrait à la fois cynique et flatteur du fondateur de Kering (ancien groupe PPR), l’auteur ne parvenant jamais à dissimuler l’admiration qu’il voue à l’homme, donnant du « François », du « corsaire » ou du « condottiere » à longueur de pages, sans taire, néanmoins, le mépris qu’il éprouve envers sa brutalité et ses méthodes peu orthodoxes d’entrepreneur.

Car, prévient José Alvarez, « ne l’oublions jamais, François est avant tout un homme d’affaires » dont l’ambition est d’être « le plus puissant et le meilleur. Une réalité qui, dans tous les cas de figure, est conditionnée à son rapport effréné à l’argent. » Autrement dit, Pinault, « ce petit Napoléon, certes, mais en aucun cas un despote véritable », est (aussi) un spéculateur qui promeut (aussi) des artistes « moins soucieux de leur image que de leurs profits », « se pliant aux desiderata du monde du luxe qui sont ceux du marketing », à l’instar des Murakami, Koons, Ai Weiwei, Buren, Richard Prince et quelques autres. Le cynisme d’Ai Weiwei, par exemple, répugne Alvarez, qui étrille au passage la critique d’art qu’il juge « béate, sans conscience morale ni politique », et qui préfère « s’attarder sur le phénomène du marché plutôt que sur celui de l’art ».

Toutefois, écrit José Alvarez, il ne saurait se dégager dans les choix de cet homme, entré véritablement en collection en 1990 par l’achat d’un Mondrian, autre chose qu’une conviction « qui ne peut être fortuite, ni opportuniste ». Et l’auteur d’inscrire François Pinault, « découvreur » d’artistes au flair dit « imparable », dans la lignée d’un Laurent de Médicis, « prince mécène et assassin », d’une Peggy Guggenheim et d’un John D. Rockefeller. Comparaisons dont l’intéressé ne devrait, n’en déplaise à l’auteur, pas trop souffrir. « François Pinault conduit sa collection comme ses affaires : frondeur, il est confronté à la solitude, aux élans, aux énigmes et autres ambiguïtés inhérentes à tout créateur », poursuit le portraitiste, sans parvenir toutefois à convaincre sur le choix du titre de son livre.

Libre, n’évitant pas les sujets qui fâchent – l’ancienne proximité de l’homme d’affaires avec le FN, les conflits d’intérêts entre le collectionneur et le propriétaire de Christie’s, le choix du Palazzo Grassi inapproprié pour montrer de l’art contemporain, etc. –, mais pardonnant beaucoup au collectionneur, François Pinault, artiste contemporain livre un premier portrait bienvenu de l’amateur d’art. Un portrait qui ne saurait être toutefois définitif en raison de l’absence de contradicteurs et, parfois, de son manque de précisions, notamment de chiffres. mais là n’était probablement pas l’ambition de José Alvarez qui, en creux, dessine les contours d’un autre portrait… le sien. Au fil des pages, celui qui préfère Genet à Le Clézio convoque ses artistes fétiches (Twombly, Kiefer…), dit sa détestation d’Adel Abdessemed, cite les auteurs phares des livres du Regard (Dominique Baqué, Élisabeth Quin…) tout en rappelant son goût pour la mode, le cinéma et la littérature. Portrait ou autoportrait ? Les deux mon capitaine…

josé alvarez,
françois pinault, artiste contemporain,
albin michel, 336 p., 23 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°716 du 1 octobre 2018, avec le titre suivant : Itinéraire d’un collectionneur gâté

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