Livre

Héloïse Guay de Bellissen : « Lascaux était avec Simon Coencas, en lui, dans le camp de Drancy »

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 27 octobre 2020 - 765 mots

« La grotte, elle est là », confie Simon Coencas, l’un des quatre enfants ayant découvert Lascaux en 1940, à la romancière Héloïse Guay de Bellissen, « elle est dans ma tête ». Il est mort en février 2020, mais Héloïse Guay de Bellissen le fait revivre dans un roman qui raconte l’invention, il y a 80 ans, de Lascaux.

Votre livre paraît à l’occasion des 80 ans de l’invention de Lascaux : pourquoi vous semblait-il important d’écrire sur cette découverte aujourd’hui ?

Cet anniversaire est un hasard, même s’il tombe bien ! À l’origine, j’avais envie de raconter une histoire d’amitié. L’histoire des quatre gamins qui ont découvert Lascaux dans les années 1940 me semblait d’autant plus attrayante qu’elle faisait écho à mon rêve d’enfant : découvrir moi-même un jour une grotte ornée. J’ai trouvé le numéro de Simon Coencas, dernier des inventeurs de la grotte à être encore en vie, et l’ai appelé. Il refusait jusque-là les sollicitations de ceux qui voulaient l’interroger sur la découverte de Lascaux, mais j’ai eu la grâce d’arriver au bon moment de sa vie, celui où il ressentait enfin le désir de parler (Simon Coencas est mort en février 2020, ndlr). Or, quand je l’ai rencontré, Simon m’a d’abord raconté sa déportation à Drancy, quelques mois après sa découverte de Lascaux. J’ai compris aussitôt qu’un autre monde s’ouvrait à moi : sa grotte intérieure.

Votre roman met en lumière l’ancrage de la découverte de Lascaux dans un moment historique, celui de la Deuxième Guerre mondiale, et dans la Shoah. Qu’a pu apporter Lascaux dans cette période sombre de notre Histoire ?

J’ai fait des études d’histoire de l’art et de philosophie de l’art, et ce qui me fascinait dans Lascaux, était la beauté de ses peintures. Mais quand Simon Coencas m’a parlé du camp de Drancy, de la mort de ses parents à Auschwitz, mon regard s’est nuancé et enrichi. La découverte de Lascaux, cette grotte ornée miraculeusement préservée pendant des millénaires, en 1940, dans la période la plus sombre du XXe siècle, est sans doute un hasard, mais il y a néanmoins une synchronicité. Ce qu’on ressent dans une grotte ornée est d’une étonnante puissance : on est dans l’obscurité totale, et dans les accidents de la paroi, apparaissent des animaux… Une beauté absolue jaillit de la roche et nous console des douleurs du monde. Simon Coencas m’a confié que Lascaux était avec lui, en lui, dans le camp de Drancy… Comme si la grotte constituait, par sa beauté, une résistance au mal et à l’horreur. J’ai ainsi imaginé cette scène où les animaux viennent réconforter les enfants de Drancy qui crient et pleurent en appelant leur maman… comme s’ils surgissaient pour les sauver, et leur rappeler que les hommes sont aussi capables de gestes beaux et forts.

Vous avez alterné la fiction avec une retranscription fidèle des entretiens que vous avez menés avec Simon Coencas : pourquoi ce choix ?

Je suis très sensible à l’oralité, à la langue parlée – j’aime à certains moments écrire en langage parlé. La parole de Simon Coencas m’apparaît tellement pure… J’ai voulu lui donner une place, pour faire en quelque sorte un travail de mémoire. Ces paroles alternent donc avec des scènes de fiction, et des passages plus littéraires, où la grotte prend vie. Au fond, j’ai voulu faire avec la parole de Simon ce qui a été fait avec les peintures pariétales de Lascaux : de la même façon que les préhistoriens ont apposé des calques sur les peintures de la grotte pour les étudier, j’ai pris les mots de Simon pour en faire une frise, à partir de laquelle j’ai construit mon roman…

Vous avez choisi pour titre de votre roman « Le Dernier Inventeur ». Parlez-nous de ce mot : il se rapporte à une découverte, mais porte aussi en lui une idée de nouveauté…

En effet, on dit de quelqu’un qui fait une découverte archéologique qu’il en est l’inventeur… Les gamins sont donc les inventeurs de la grotte. J’ai trouvé que ce titre, Le Dernier Inventeur,était à la fois énigmatique et poétique. Et, de fait, découvrir une grotte si bien conservée, qui évoque des temps immémoriaux, fait surgir une nouveauté dans le monde. Elle est comme une bouche, qui s’ouvre parce qu’elle a quelque chose à nous dire. Elle a parlé aux enfants pendant la guerre. Et, aujourd’hui, alors que nous traversons des temps incertains, marqués par la pandémie, elle continue de s’adresser à nous : elle a survécu au temps, aux maladies qui menaçaient ses peintures, et nous dit qu’il reste la beauté. Et qu’elle est un refuge.
 

Héloïse Guay de Bellissen,
Robert Laffont, 234 p., 19 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°738 du 1 novembre 2020, avec le titre suivant : Héloïse Guay de Bellissen / « Lascaux était avec Simon Coencas, en lui, dans le camp de Drancy »

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