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Littérature

Du mot les paysages, de l’image les sens

Par James Benoit · L'ŒIL

Le 27 janvier 2021 - 356 mots

Voir. C’est croire. Voir, c’est imaginer. C’est composer dans nos mécanismes internes un cinéma du réel, et, plus que tout, vivre en nous le réel de ce cinéma.

Dans la chambre noire de notre crâne, la lumière n’entre pas, elle hante. Chargée du fantôme de notre histoire. Reformulée à partir des quelques décharges électrochimiques, très pauvres en information, que nous transmet notre sens et d’éléments épars, de causes floues, de principes parcellaires, mendiés auprès de notre mémoire, de nos oublis et de nos approximations innovantes. Pour qu’il se forme une réalité de notre expérience du monde, il faut y ajouter le sens que nous donnons à nos sens. Voir, c’est un vide. Une absence d’image qui se remplit de raison, d’intuition, d’un appel. C’est un manque, qui fait place aux formes et aux forces créatrices de l’imaginaire. Qui se gonfle des formules mythiques qui « à la source des langues » habitent notre façon de voir le monde. Touche par touche apparaît un tableau complet de la scène, une solution au puzzle, et nous en éprouvons, corps et âme, le récit. Voir, c’est se raconter une image. C’est aussi ce qui fait de l’écriture – tracer des sons qui fabriquent des images – l’art le plus visuel qui soit. Car, par la même chimie, par la même alchimie, raconter, c’est voir. Publié à l’occasion de l’exposition que la BnF a consacrée à l’œuvre de Pascal Quignard, Sur le geste de l’abandon regroupe un ensemble de manuscrits inédits, de textes et de conférences illustrées. Nous y découvrons un écrivain de l’image, qui nourrit son processus d’écriture de formulations graphiques. Il dessine sur ses écrits, écrit sur ses dessins, illustre à côté, au-dedans, formant par ses superpositions, ses allers-retours, un palimpseste de l’esprit : non un tableau, mais le rêve d’une pensée inachevée, en gestation, toujours en devenir. Une hallucination qui fait sens. Aussi, ce qui se vit à la lecture, c’est une transe, un don de soi aux images. Non pas un sommeil, mais une ouverture à la vie intérieure. Telle Ariane abandonnée au sommeil, comme nous nous rendons à une évidence, nous y retrouverons le geste perdu de l’abandon.

Mireille Calle-Gruber (dir.),
Sur le geste de l’abandon, Pascal Quignard,
Éditions Hermann, 196 p., 50 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°741 du 1 février 2021, avec le titre suivant : Du mot les paysages, de l’image les sens

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