Chronique

Du cinéma au musée, et retour

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 15 octobre 2013 - 853 mots

Deux ouvrages se penchent sur les relations de l’art et du cinéma, relisant son histoire à l’aune des créateurs ou revenant sur l’infiltration du musée par le cinéma.

Le siècle du cinéma, le XXe qui en a vu l’émergence fulgurante, n’était pas encore clos que celui-ci s’est installé comme une réalité imaginaire jusqu’au plus profond des consciences individuelles : il y a fort à parier que, depuis l’arrivée d’un certain train en gare de La Ciotat, la substance même de nos rêves en ait été changée, que le travelling, le décadrage et le plan de coupe aient forgé de nouvelles imageries dans nos nuits. Le paradigme du cinéma ainsi considéré s’est introduit dans le monde de l’art, non seulement formellement, comme « image-mouvement » et « image-temps », selon les termes de Gilles Deleuze, mais aussi comme processus de fabrication et surtout de perception, de réception. Nous voyons au travers du cinéma, et le cinéma voit et intègre tout. Il est du coup un opérateur critique dans le champ de l’art dont les auteurs usent avec bonheur, comme Érik Bullot dans Sortir du cinéma, volume paru aux bons soins d’un musée, le Mamco (Genève).
Inversement, le musée apparaît comme une figure opérante dans l’aventure du cinéma, pour les onze contributeurs de Cinéma Muséum. À eux deux, jusqu’à parfois la contradiction, les deux livres tracent des lignes pertinentes dans l’histoire de nos formes imaginaires, sous l’égide d’une relation intime et paradoxale telle qu’Erik Bullot la formule en introduction : « L’art et le cinéma se conjuguent au futur antérieur (p. 15). »
Sortir du cinéma est construit sur une hypothèse éclairée ; le cinéma, s’il est une promesse, est aussi hanté depuis ses origines par sa perte, sa disparition, sa fin. Installé près de la porte de sortie, Erik Bullot regarde l’écran en pensant à la salle d’exposition, et l’histoire du cinéma au travers d’un grand nombre de propositions d’artistes qui articulent (et désarticulent) le médium cinématographique. Ses huit chapitres suivent une chronologie générale et produisent une lecture historique, mais se fondent sur une analyse « critique » des œuvres concernées, permettant une lecture fragmentaire du volume.

Cinématographie des origines et avant-garde artistique
L’auteur complète l’analyse formelle par des références à des écrits théoriques, historiques, ainsi que par des déclarations de cinéastes comme d’artistes, et des éléments biographiques significatifs. Ainsi figure en point de départ, cette rencontre entre Georges Méliès et le plasticien Hans Richter en 1937. Le lien entre cinématographie des origines et avant-garde artistique s’en voit établi, qui sera nourri au fil des chapitres par des entrées monographiques (Jean Epstein, Joseph Cornell) ou des territoires historiques (les avant-gardes dans leur histoire, l’ère Fluxus, les pratiques d’artistes que l’on peut reconnaître sous le terme de « cinéma d’exposition »). S’y ajoutent les questions des réalisateurs (les plus exigeants, ceux qui produisent du cinéma d’auteur) liées tant à l’écriture cinématographique qu’à l’extension de la salle vers l’installation. On croisera (malheureusement sans l’aide d’un index) des acteurs attendus ou non de cette histoire, Jean-Luc Godard, Sergueï M. Eisenstein, Isidore Isou, Fischli/Weiss, David Claerbout, George Maciunas, Orson Welles…
Les questions techniques de support et d’outil, de la pellicule sensible à la labilité numérique d’aujourd’hui, celles liées aux conditions de réception et plus généralement au spectateur, sont considérées dans un mouvement continu. L’auteur ajoute à l’érudition du savant une connaissance des œuvres et des dispositifs de témoin direct, et une sensibilité de réalisateur, ce qu’il est aussi.

L’exposition comme processus de montage
L’ambition de Cinéma Muséum est d’une autre nature. Les contributeurs visent le cinéma, et surtout la conscience que celui-ci a tour à tour donné et repris au territoire du musée, considéré extensivement, en tant qu’imaginaire culturel ou objet d’expérience perceptive, mais aussi comme processus à la fois mutuel et différencié de production de sens, de discours.
Explicitée par les éditrices de l’ouvrage, Barbara Le Maître et Jennifer Verraes, toutes deux universitaires en études cinématographiques, l’hypothèse est celle de la conscience native du cinéma comme patrimoine, patrimoine matériel et à ce titre préoccupé par sa conservation, fût-elle problématique, mais plus encore patrimoine imaginaire, au sens même où Malraux invoque le Musée imaginaire. « Infiltrant le musée, le cinéma aurait-il le don de le déconstruire ou de le délocaliser de l’intérieur ? », interroge l’introduction. Les articles éclaireront donc des versants souvent réciproques. L’exposition contemporaine comme processus de montage, la mise en salle du cinéma et la sortie de la salle entreprise par l’art, mais aussi le rêve et le cauchemar du musée dans le cinéma. Godard encore donne le ton avec cette scène aussi météorique qu’emblématique qu’est la course de ses personnages à travers les salles du Louvre dans Bande à part (1964), mais l’on croisera aussi Chris Marker et Tony Smith, Brian de Palma et Mark Lewis, Fabrice Lauterjung et Anthony McCall.

CinÉma MusÉum,

Le musée d’après le cinema, sous la direction de Barbara Le Maître et Jennifer Verraes, 2013, Presses universitaires de Vincennes, Saint-Denis, coll. « Esthétiques hors cadre », 204 p., 21 €. Érik Bullot, Sortir du cinéma, Histoire virtuelle des relations de l’art et du cinéma, 2013, éd. Mamco, Genève, 272 p., 22 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°399 du 18 octobre 2013, avec le titre suivant : Du cinéma au musée, et retour

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