Deux beaux livres sur les collections africaines du musée Barbier-Mueller

L'ŒIL

Le 1 février 2004 - 756 mots

Sur le continent africain, les matériaux et techniques appliqués à « l’art de s’asseoir » sont multiples : au Mali, tabourets en terre cuite au riche décor incisé, en creux ou estampé, surgis des mains des potières bozo, ou sièges soutenus par quatre paires de Nommo aux bras levés, ces ancêtres de la culture dogon, puissamment sculptés dans le bois ; au Ghana, tabourets de responsable politique ashanti couverts de feuilles d’argent ; au Cameroun, trône royal perlé provenant de la cour des Bamoun ; en Éthiopie, chaise tripode monoxyle à haut dossier élégamment ajouré par les sculpteurs gouragé selon une structure cruciforme...

Le superbe Sièges d’Afrique noire du musée Barbier-Mueller, publié par Jean-Paul Barbier aux éditions Cinq Continents, rend compte de cette diversité, avec un hommage au méticuleux travail de collectionneur commencé il y a plus de quatre-vingts ans par Josef Mueller, son beau-père. L’ouvrage réunit, sur plus de deux cents sièges que contient la collection complète, une bonne centaine de chefs-d’œuvre, splendeur qu’il nous est donné de découvrir à l’occasion de l’exposition itinérante actuellement présentée à l’ensemble conventuel des Jacobins de Toulouse jusqu’au 22 mars prochain.

À l’aspect esthétique, le catalogue allie des analyses contextuelles approfondies. Trente et un chercheurs d’Afrique, d’Europe et d’Amérique ont été associés pour un double projet. On trouve d’abord des essais qui examinent la façon dont les différentes cultures évoquées utilisent et considèrent leurs sièges. Puis vient la « contemplation extatique » du catalogue, que Jan Elsen a ordonné en trois grands blocs : l’Ouest, le Centre et l’Est. Ce découpage présente cent dix des cent quarante pièces montrées dans l’exposition de Toulouse, et il trace certains liens géographiques et culturels. Jean-Paul Barbier invite le public à regarder ces meubles, non pas comme des objets fonctionnels ayant accédé au statut d’œuvre d’art, mais comme « les témoins d’une tradition et d’un savoir-faire, de l’inventivité et de la beauté avec lesquels les Africains ont enrichi leur vie ». Réflexion politique : Mary Nooter Roberts et Boris Wastiau consacrent leurs articles aux pratiques hiérarchiques, la première chez les Luba de la République démocratique du Congo, le second au sein des populations luvalé de Zambie, qui érigent le siège en emblème, suggérant relations de pouvoir et de domination, stratifiant la société et pouvant même asseoir littéralement un régime gouvernemental. Échanges Nord-Sud : la confrontation de la Queen’s chair créée par Robert Wilson, artiste texan contemporain, avec le tabouret ashanti dont il s’est inspiré, engage le lecteur à considérer la similarité formelle de ces œuvres, l’une exposée dans les galeries d’art et associée au décor scénique de l’opéra The Day before Death, Destruction and Detroit III, et l’autre matérialisant, comme le montre Purissiam Benitez Johannot, le rôle majeur du siège d’or ashanti dans la formation d’une identité nationale ghanéenne. Nigel Barley, à l’inverse, centre sa réflexion sur la réinterprétation, par les artistes africains, de formes occidentales adaptées aux marchés locaux, telle la chaise à personnages des artistes tschokwé d’Angola, qui s’inspire de la cadeira de sola portugaise du XVIIe siècle. Aboubakar Njiassé Njoya, quant à lui, retrace le parcours d’un tabouret royal de la cour du souverain bamoun Ibrahim Njoya de Foumban (Cameroun) à son arrivée dans les collections européennes.

Autre somptueux ouvrage chez le même éditeur, De fer et de fierté : armes blanches d’Afrique noire du musée Barbier-Mueller convie le lecteur à un voyage au fil des lames de couteaux et autres armes de poing. Un art longtemps considéré comme mineur dans la production africaine, mais dont la riche symbolique est ici mise en lumière. Accompagnant l’exposition présentée du 15 décembre 2003 au 30 septembre 2004 au musée Jacques Chirac de Sarran, ce catalogue a droit en préface à un hommage du président de la République française aux arts du continent africain. Quoique Jean-Paul Barbier se reconnaisse un intérêt tardif et « accidentel » pour de telles œuvres, la qualité des pièces qu’il a acquises témoigne de la sûreté de son œil de collectionneur.

Le livre, privilégiant certains types d’armes et certaines régions, offre avec quelque cent pièces un large éventail des armes de poing en Afrique subsaharienne. Pureté des lignes et géométrisation audacieuse des lames, gage de prestige pour le commanditaire, révélaient aussi la dextérité du forgeron.

Car ces objets indiquent toujours le statut social et la richesse du propriétaire, en l’occurrence des armes destinées à l’élite, dont la fonction guerrière n’était que secondaire.

Sièges d’Afrique noire du musée Barbier-Mueller

et De fer et de fierté, armes blanches d’Afrique noire du musée Barbier-Mueller, 65 euros et 59 euros, Cinq Continents éditions.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°555 du 1 février 2004, avec le titre suivant : Deux beaux livres sur les collections africaines du musée Barbier-Mueller

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