Livre

Dessins de la cruauté

Par James Benoit · L'ŒIL

Le 27 juin 2019 - 356 mots

À mi-chemin du geste et de la pensée, Artaud dessine comme il écrit. Tout acte de création s’apparente chez lui à mettre en scène des éléments du vivant et du sacré, de sa vie et de son esprit.

Ce recueil documenté, réédition d’une publication de 1986 [chez Gallimard], réunit principalement un choix de dessins et portraits produits durant ses dernières années d’internement en H.P. de 1945 à 1948. Il remet ainsi au jour, soixante-dix ans après la disparition de l’artiste, une production graphique fournie et intense. Ses dessins, eux-mêmes souvent liés à des lettres – à destination – et à des commentaires qu’ils accompagnent, sont aussi composés de mots, titres, phrases, invectives ou sonorités. Il serait chimérique d’imaginer dissocier textes et dessins, comme séparer ce qu’on pourrait tour à tour appeler l’art ou la folie. Il y abandonne les principes du croquis pour y mêler le retournement, l’amoncelé, la rature, il y abandonne les principes de l’écriture pour y inclure des glossolalies, des vides, des ruptures, indiquant par là même que l’essentiel du sens se cache dans les ellipses. Écrits crayonnés, dessins formulés, la superposition des deux procédés est celle d’un même langage. Non celui d’un même récit, d’une même description, qu’il chercherait à imager de différentes façons, mais plutôt celui d’une vitalité, dans ce qu’elle a de force vivante, un en-train-de-vivre, dont l’architecture et la musicalité font acte de foi. Si toute formule artistique est avant tout l’expression d’une résistance vitale à la souffrance d’exister, ce qui en fait son universalité, Artaud coupe à l’essentiel jusqu’à confondre l’origine et le point d’arrivée. La mise en présence de sa souffrance devient ainsi la formule artistique de la résistance qu’il met à exister. Et là où son Théâtre de la cruauté dépèce la vie pour en extraire du sens, sans cesse mouvant et indéterminé, ce qu’on pourrait nommer ses « dessins de la cruauté » tendent à laisser pendants des morceaux d’une vérité toujours en train de se faire. Alors résonne, au premier pan d’un siècle qui tend à devenir celui de l’être, le tourment du mental, d’un créateur qui fut tout à sa muse, sa dignité, sa déraison.

Paule Thévenin & Jacques Derrida,
Antonin Artaud, Dessins et portraits,
Schirmer/Mosel, 253 p., 39,95 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°725 du 1 juillet 2019, avec le titre suivant : Dessins de la cruauté

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